Collectif
Un collectif de 26 acteurs du secteur immobilier appelle, dans une tribune au « Monde », à favoriser la mobilité des parcours résidentiels, bloquée aujourd’hui par les règles fiscales, urbanistiques et techniques
Cette transformation nous semble trop lente et surtout fait l’impasse sur une question majeure : l’évolution des modes de vie et les aspirations contrariées de celles et ceux qui vivent dans ces logements dans un contexte de crise sociale montante. Y répondre pourrait aider à s’engager sur la voie d’une sobriété immobilière devenue nécessaire.
Une enquête IPSOS pour RTE révèle que 30 % des ménages, soit neuf millions de ménages représentant près de 20 millions de personnes, envisagent de déménager pour aller vers un logement plus petit et faire ainsi des économies (c’est l’argument principal cité par 50 % des répondants) ou simplifier l’entretien d’un logement devenu trop grand (Modes de production, sobriété et efficacité énergétique : état des lieux sur les comportements et attitudes des Français, juin 2023).
La mobilité résidentielle permettant de changer de logement en fonction des évolutions de la vie de chacun est une attente majeure. Cette attente est aujourd’hui bloquée. Trop de ménages se retrouvent assignés à résidence, piégés par un système qui, dopé depuis plusieurs décennies aux taux d’intérêt bas et aux aides gouvernementales multiples, a engendré une flambée des prix de l’immobilier.
Si un grand nombre a vu sa richesse immobilière s’accroître, l’accès à la propriété des Français les moins aisés a aussi fortement baissé et le marché locatif est à son tour touché. La mobilité résidentielle est aujourd’hui grippée par la chute du marché de la construction neuve, affaiblie par la montée des taux d’intérêt et l’explosion du coût des matériaux.
Le spectre des années noires de 1990 et 2008 ressurgit tandis que certains prédisent une cure de sobriété immobilière forcée pour les plus jeunes et les moins argentés dans la décennie à venir. C’est le moment de réinventer le modèle ! Nous devons d’abord prendre conscience que le parc de logements existant est aujourd’hui en réalité peu occupé.
Si des actions commencent à porter sur les 6 millions de logements vacants et de résidences secondaires, la faible occupation des 30 millions de résidences principales est aujourd’hui très peu considérée. Même dans les zones tendues, les deux tiers des résidences principales sont occupées par seulement une ou deux personnes, et le vieillissement de la population va encore accentuer ce phénomène.
Mais le logement est une « terre de contraste » : 8,9 millions de logements peu occupés comportent au moins trois pièces de plus que de personnes, quand 1,5 million de logements suroccupés comportent moins de pièces que de personnes. Ainsi, faciliter cette envie de déménager vers un logement plus petit permettrait aux Français qui, inversement, ont envie d’un logement plus grand, notamment parce que leur famille s’est élargie, d’exaucer cette envie sans forcément construire.
Mais les freins sont nombreux. Le locataire d’un grand logement qu’il occupe depuis de nombreuses années verra généralement son loyer monter s’il déménage, même pour un logement plus petit ; le propriétaire qui revend son grand logement pour un plus petit sera taxé lors de ce changement. Le défi est de fluidifier les parcours résidentiels pour mieux occuper le parc existant dans lequel nous avons tant investi ces dernières années, plutôt que de continuer à investir tous azimuts dans une pierre de plus en plus coûteuse pour la planète.
Il est grand temps de faire bouger les règles fiscales, urbanistiques et techniques qui freinent de nouveaux usages qui sont aussi des réponses possibles aux enjeux climatiques de la filière. Nous appelons à un allègement des règles de droits de mutation, à l’imposition des logements en fonction de leur impact écologique et de la surface par personne, afin d’inciter à l’occupation pleine plutôt qu’à l’occupation temporaire, et à favoriser la transformation de bureaux en logements.
Le mouvement est déjà en cours avec des initiatives diverses comme les bourses de logements dans le parc privé comme dans le parc social, la transformation de grands logements en colocations étudiantes, la réinvention des logements vacants, les règles sur les meublés touristiques…
Nous invitons les acteurs de la filière à innover pour imaginer des espaces de vie qui s’adaptent aux évolutions des besoins par un design intelligent et évolutif, brassant les générations dans un pays à la démographie vieillissante où l’on sait que le bien vieillir repose sur la qualité des liens et des relations, et favorisant la mutualisation des usages propices à récréer de nouvelles solidarités.
Les acteurs de l’immobilier ont la responsabilité collective de se remettre en cause. L’impulsion produite par le Conseil national de la refondation du logement, qui a fonctionné de novembre 2022 à juin 2023, est certainement encourageante.
Il faut aller plus loin, en engageant de manière concrète les parties prenantes pour débloquer le système du logement en se projetant dans un nouveau modèle vertueux, accélérateur de la transition environnementale. Cela ne pourra se faire qu’en tenant compte de la spécificité de chaque territoire, ce qui suppose d’installer une gouvernance décentralisée, donnant aux élus locaux une capacité d’ajuster la règle générale.
Christian Cléret et Jean-Christophe Visier sont présidents du groupe de réflexions « bâtiments responsables et territoires » du Plan bâtiment durable ; Julien Eymeri est associé cofondateur du cabinet de conseil Quartier Libre Cette tribune est signée par un collectif de 26 acteurs publics et privés du secteur immobilier. Voir ici la liste complète des signataires. Collectif