A quel point la chaleur est-elle meurtrière en France ? Dans un rapport publié vendredi 23 juin, l’agence sanitaire Santé publique France (SPF) s’est penchée sur ce sujet qui deviendra de plus en plus préoccupant dans les étés à venir. Au total, entre 2014 et 2022, SPF estime ainsi que 32 658 décès sont attribuables à la chaleur entre le 1er juin et le 15 septembre de chaque année. « Les canicules sont les événements climatiques extrêmes qui ont le plus fort impact sur toutes les classes d’âge de la population », souligne Sébastien Denys, le directeur santé-environnement-travail à SPF.
Plus précisément, 28 % de ces décès ont été observés pendant les canicules, c’est-à-dire des périodes de trois jours au minimum durant lesquels la température, de nuit comme de jour, dépasse les seuils fixés par département – en Ile-de-France, par exemple, les seuils caniculaires sont de 21 °C la nuit et de 31 °C en journée.
Ce chiffre est important car il montre, en creux, que la majorité des morts intervient en dehors de ces pics extrêmes de températures. « L’exposition de la population à la chaleur en dehors des périodes de canicule, associée à un risque plus faible mais plus fréquent, contribue davantage à l’impact total que les chaleurs extrêmes associées à un risque plus élevé mais plus rare », écrivent les experts de SPF.
Pour autant, certaines températures restent plus meurtrières que d’autres : près d’un tiers des décès sont observés lors des canicules alors qu’elles ne représentent que 6 % des jours étudiés lors de ces périodes estivales. Une contribution au bilan total qui, pour SPF, justifie « le focus des alertes sur les canicules ».
C’est l’été 2022 qui détient le triste record des dernières années, avec 6 969 morts attribuables à la chaleur, dont 29 % pendant les canicules, suivie de l’année 2019, avec 4 441 morts, dont 42 % pendant les canicules.
De premières estimations, publiées en novembre 2022, avaient évalué à 2 816 personnes l’excès de mortalité lors des trois épisodes de canicule qui ont marqué l’été 2022 en France, le deuxième le plus chaud observé en France depuis le début du XXe siècle. Sur l’ensemble de la période estivale, l’excès de mortalité toutes causes confondues avait été estimé à 10 420 personnes, un chiffre mêlant à la fois les personnes mortes en raison des fortes chaleurs et celles décédées en raison de la septième vague de Covid-19.
Sur la période 2014-2022, on estime que 71 % des morts étaient âgés de 75 ans et plus ; près d’un tiers ne faisaient donc pas partie de cette catégorie de la population la plus vulnérable. Le rapport de SPF ne donne toutefois pas plus de détails sur l’âge précis de ces personnes. « Les personnes décédées de la chaleur sont souvent perçues comme des personnes très fragiles dont le décès n’aurait été avancé que de quelques jours. Cependant, il n’existe pas de preuve de cet “effet moisson”, les études explorant l’impact sur une période en général courte », commentent les auteurs.
SPF pointe ainsi deux populations vulnérables qui ne s’identifient pas comme telles, les occupants d’un logement exposé à la chaleur et les individus pratiquant une activité physique. « Il faut que ces personnes adaptent leur comportement pendant les canicules », insiste Sandrine Randriamampianina, responsable d’unité à la direction de la prévention et promotion de la santé de SPF. Cela passe par des gestes de prévention comme le fait de mettre des plantes devant ses fenêtres ou de placer des linges humides devant des ventilateurs, ou de pratiquer son sport tôt le matin et de surveiller la couleur de ses urines : si elles sont trop foncées, il faut s’hydrater plus.
Dans quelle mesure l’épidémie de Covid-19 a-t-elle pu aggraver le nombre de morts de la canicule ? Les experts se gardent bien de conclure sur ce point. Si une étude menée au Portugal suggère que la désorganisation du système de santé et le moindre recours aux soins pendant le Covid-19 ont pu augmenter d’au moins 50 % la mortalité liée à la chaleur en 2020, SPF souligne que « cette pandémie a pu réduire avant l’été le nombre de personnes très vulnérables à la chaleur au point de masquer l’augmentation du risque ».
Cette modélisation n’a par ailleurs pas pris en compte la pollution de l’air ambiant, un facteur aggravant souligné par plusieurs études. Chaque année, la chaleur est responsable de 1 000 à 7 000 morts, selon les conditions météorologiques, ce qui peut représenter jusqu’à 9 % de la mortalité estivale. A titre de comparaison, on considère que la pollution de l’air particulaire est responsable de 40 000 décès par an en France, soit environ 7 % de la mortalité.
« L’impact très important observé en 2022 par rapport aux autres années préfigure les défis à venir : des températures très élevées tout l’été, avec des pics extrêmes, et un risque aggravé par une pandémie et probablement par la pollution de l’air générée par les incendies localement », concluent les auteurs, qui plaident pour qu’une « adaptation structurelle »soit mise en place afin de réduire le risque tout au long de l’été, en complément de la réponse spécifique pendant les canicules.