La smart city est née, à la fin de la décennie 2000, sous l’égide de grandes sociétés technologiques comme IBM ou Cisco, d’abord sur une promesse d’efficacité (et de modernité) des services publics. Après quelques années, le discours des consultants et des vendeurs de « solutions » a progressivement englobé la promesse environnementale : on allait être plus smart et (donc) plus green. Le renversement a été total lorsqu’à l’automne 2020, Stéphane Richard, PDG d’Orange à l’époque, a tenté de justifier le déploiement de la 5G en expliquant qu’elle allait être indispensable aux villes pour réaliser leur transition énergétique : pour être plus green, il faudra (forcément) être plus smart !
En vertu de quels arguments ? Les promesses restent génériques et bien vagues. Aujourd’hui, la 5G est là (et la 6G démarre… rendez-vous en 2030…), mais il est bien difficile de trouver des « cas d’usage » comportant des bénéfices indéniables pour l’environnement. La smart city n’a en fait pas grand-chose à voir avec l’environnement, il s’agit d’abord du déploiement de dispositifs technologiques de contrôle et de pilotage, comme dans les usines. Mais une ville n’est pas une usine, et un tel déploiement – si tant est qu’il soit réalisable, car dans le domaine urbain on affronte généralement le « déjà là », le patrimoine déjà construit depuis des siècles – n’aboutit pas nécessairement à une ville sympathique, accueillante… ou résiliente, si elle doit dépendre de la disponibilité de composants électroniques produits à l’autre bout du monde, de ressources rares, de l’opacité dans la conception des logiciels ou le stockage et l’utilisation des données collectées.
Quant aux promesses d’une efficacité toujours plus grande, on sait qu’on court toujours le risque d’un effet rebond, qu’elle ne serve pas à réduire les impacts, mais à consommer toujours plus : si la voiture autonome (encore hypothétique) permettait de fluidifier le trafic tout en bossant depuis son véhicule, les gens pourraient habiter encore plus loin de leur travail, cela inciterait à accroître l’étalement urbain et les distances à parcourir.
Il semble toutefois que, malgré tout le pouvoir d’attraction de la « nouveauté », les discours autour du numérique salvateur et le travail de marketing des industriels, la mode de la smart city soit en train de passer, au moins en Occident. L’abandon par SidewalkLabs (filiale du groupe Alphabet, la maison-mère de Google) du projet de la friche Quayside à Toronto au printemps 2020 a fait l’effet d’une douche froide (officiellement, le projet, qui avait provoqué l’enthousiasme à son lancement, a été abandonné pour des raisons financières, mais de vraies difficultés avaient surgi sur la possible marchandisation des données personnelles des futurs habitants). Il y a des effets de mode, comme partout : en ce moment, c’est l’IA qui tient la dragée haute, après le long-feu du métavers de Zuckerberg… Mais l’idée reste très implantée en Asie et au Moyen-Orient ; les projets délirants comme The Line, en Arabie Saoudite, sont obligatoirement smart, cela va sans dire (et forcément green, bien évidemment)
in bonpote