Le premier problème, inhérent à la formation géologique des pétroles de roche mère (« shale oil » en anglais), aussi appelé pétrole de schiste, est la déplétion très rapide de ces puits de pétrole. (...) les mesures réalisées montrent qu’un puits de schiste voit sa production baisser de 70% après 18 mois seulement d’exploitation. C’est ce que l’on appelle la déplétion. A titre de comparaison, la déplétion naturelle sur un puits conventionnel est de l’ordre de 4 à 5% par an, en raison de la baisse de pression dans le réservoir, qui rend moins évidente la récupération du pétrole.
La difficile rentabilité des producteurs de pétrole de schiste
Aussi, la production de pétrole de schiste est-elle un peu une fuite en avant, nécessitant toujours plus d’investissements si l’on souhaite faire croître la production. Les gains de productivité peuvent permettre de contrebalancer ces effets. Toutefois, jusqu’à présent, même si cet argument a été régulièrement avancé, les éléments économiques ne vont pas dans ce sens. Ainsi, en 2018, malgré un prix moyen du pétrole WTI (West Texas Intermediate) de plus de 65 $ le baril sur l’année, les sociétés de pétrole de schiste dans leur ensemble se sont vues dans l’incapacité de générer un « free cash flow » positif.
La qualité des gisements diminue et les problèmes techniques s’accumulent
Ces difficultés peuvent être liées à plusieurs phénomènes. Le premier est tout simplement la raréfaction des meilleurs gisements. Les exploitants de pétrole de schiste ont, en toute logique, intérêt à initier leur production en se focalisant sur les territoires où les mesures leur donnent le plus de chances de trouver des quantités importantes de pétrole. C’est ce que l’on appelle communément les actifs Tier 1. Plus le temps passe, plus, évidemment, ce type de localisation se raréfie, obligeant les exploitants à se reporter sur des terrains moins prometteurs. Dans ces conditions, la productivité baisse.
L’autre problème est lié à l’augmentation de la concentration des puits. Le temps passant et les techniques évoluant, les exploitants de pétrole de schiste ont multiplié les puits à direction multiples (« padd drilling », où d’un puits vertical, partent plusieurs forages horizontaux dans des directions différentes) et ont rapproché les puits les uns des autres pour essayer de maximiser la quantité de pétrole récupérée (puits dits « parent/enfant »).
Le problème est qu’un tel rapprochement des puits peut s’avérer contre-productif. C’est ce que les spécialistes appellent les « frac hits » (les puits se phagocytent).
(....)
Une autre problématique connexe à la déplétion très rapide des puits de pétrole de schiste est l’accumulation de quantités de plus en plus importantes de gaz et à la nécessité qui en découle de forer toujours plus de puits pour maintenir la production. (....) Or ces deux éléments sont aujourd’hui fortement sous pression. Le développement massif de la région du Bassin permien a débouché sur une situation où les infrastructures d’oléoducs et de gazoducs sont très nettement insuffisantes.
La conséquence de cette absence de solution de transport est que le prix du gaz dans le Bassin permien a commencé à baisser, atteignant même des prix négatifs à plusieurs reprises dans le courant du mois de mai 2019. Le prix a même atteint les -4 $ par MMBtu (Million de British Thermal unit, l’unité de cotation du gaz). Les producteurs doivent payer pour se débarrasser de leur gaz, alors que celui-ci cotait plus de 2,50 $ au même moment dans la région de New York !
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Le pétrole de schiste répond-il à la demande ?
À cela s’ajoute un autre problème d’importance : y-a-t-il vraiment un marché pérenne pour le pétrole de schiste ?
La question peut paraître saugrenue dans un contexte où l’essentiel de la croissance de la production vient aujourd’hui de cette région et où la question de la demande ne s’est jamais réellement posée.
Mais il existe actuellement une inadéquation croissante entre le pétrole produit et le pétrole demandé. En effet, tous les pétroles ne se valent pas. Chaque pétrole a ses spécificités et, pour faire simple, les caractéristiques du pétrole de schiste ne sont pas les plus recherchées. Très léger, il n’est pas adapté aux installations de raffinage développées ces dernières décennies par les compagnies américaines, qui ont mis en place une infrastructure permettant de traiter le pétrole lourd en provenance des pays voisins, au premier rang desquels on trouve (ou on trouvait…) le Venezuela et le Canada.
Le développement du pétrole de schiste a d’ailleurs profondément bouleversé l’industrie pétrolière outre-Atlantique.
Cet afflux de pétrole léger a obligé les États-Unis à complètement revoir le profil de leurs importations de pétrole.
Ils importent du pétrole de plus en plus lourd, qu’ils mélangent à du pétrole plus léger pour qu’il corresponde aux spécifications techniques de leurs raffineries (et au niveau de marge souhaité…).
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Une industrie « droguée » à la dette !
Le problème majeur des pétroles de schiste, celui qui pourrait le plus limiter leur développement, c’est l’équation économique de ce type d’extraction. En effet, la déplétion rapide de ce type de forage implique de renouveler sans cesse les forages, ce qui nécessite des besoins de financement permanents.
Pour pouvoir trouver ce type de financement, les entreprises productrices ont souvent recours à la mise en place de couvertures sur les marchés à terme pétroliers. En effet, les banques ou les établissements qui financent ces forages veulent souvent garantir les revenus par la mise en place de telles couvertures, qui permettent de fixer à l’avance le prix de vente du pétrole qui va être produit. Aussi observe-t-on une corrélation entre les positions des producteurs sur le marché à terme, et les forages mis en production dans les mois qui suivent.
Dit autrement, lorsque les financements se font plus rares, les producteurs n’ayant plus les moyens de mettre de nouveaux puits en production cessent de se couvrir sur les marchés à terme. On observe ainsi une baisse importante des positions ouvertes sur le WTI à partir de la fin de l’année 2013. Dans les 18 mois qui suivent, on peut constater une baisse sensible de la production de pétrole dans les principaux bassins de schiste !
Or, les financements se sont fortement réduits au cours de l’année 2018, le total des financements tant en actions qu’en obligations s’inscrivant au plus bas depuis 10 ans !
Si on suit cette logique, développée par Philippe Verleger, un vétéran du secteur pétrolier, de l’effondrement des financements et des montants de couverture mis en place sur les contrats à terme, il est même possible que non seulement la production de pétrole de schiste croisse moins vite cette année, mais même potentiellement qu’elle recule. Cela constituerait une vraie surprise pour le marché du pétrole et pourrait sérieusement éloigner les investisseurs des valeurs de ce secteur !
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Conclusion
Il y a donc de nombreuses raisons de penser que le pétrole de schiste pourrait décevoir dans les mois et les années qui viennent, alors même qu’il est aujourd’hui la seule source de développement de la production internationale de pétrole.
Reste que, pour l’heure, les tenants de cette technologie peuvent arguer que la production de pétrole de schiste est à son plus haut historique et continue de progresser.
Mais les limites physiques et géographiques étant infranchissables, arrivera un moment où un tel développement ne sera plus possible. Pour mémoire, les réserves prouvées de pétrole dans le Bassin permien, sont actuellement d’un peu plus de 8 milliards de barils.
Au rythme actuel de production, ces réserves seront épuisées dans… moins de 6 ans !
Et pour l’ensemble des pétroles de schiste, les réserves étant de 20 milliards de barils et la production frôlant les 6,5 millions de barils par jour, les réserves seront épuisées courant… 2027 ! (lire ici et ici). à noter aussi qu’avec une consommation mondiale de 100 millions de barils par jour et une demande américaine proche des 20 millions de barils par jour, les réserves de schiste représentent aujourd’hui 200 jours de consommation mondiale et un peu moins de 3 ans de la consommation américaine…
Les progrès technologiques seront donc vitaux… D’autant plus si on prend en compte le manque d’investissement dans le pétrole conventionnel qui fait du pétrole de schiste notre planche de salut face à l’augmentation de la consommation. Et ce, même si ce pétrole ne répond pas forcément parfaitement à nos besoins… Espérons qu’à Houston, tout se finira aussi bien que pour la Mission Apollo !
(publié par J-Pierre Dieterlen)
L’Agence internationale de l’énergie a alerté en 2018 dans son rapport annuel : compte tenu de l’écart entre la croissance de la demande en pétrole (jusqu’à 102 millions de barils par jour) et la décroissance de la production (86 millions de barils par jour) prévue d’ici 2025, il faudrait tabler sur une croissance des pétroles de schistes américains d’environ 16 millions de barils par jour.
Dans les prévisions américaines les plus optimistes, ces pétroles pourraient croître au mieux d’environ 5 ou 6 millions de barils par jour d’ici 2025. Ce qui augure un marché du pétrole perturbé dans les années à venir.
Il est en effet vrai que le coût d’extraction du pétrole est à la hausse. Nous avons d'abord extrait le pétrole facile à extraire, et donc «peu coûteux», et nous avons été forcés de passer à l'extraction du pétrole qui coûte beaucoup plus cher à extraire.
Par exemple, extraire de l'huile en utilisant la fracturation est coûteux. Il en va de même pour l'extraction du pétrole offshore du Brésil sous la couche de sel.
les boucles de rétroaction qui se produisent lorsque les prix du pétrole augmentent réellement sont telles que les prix du pétrole ont tendance à se replier rapidement s'ils augmentent réellement.
L'économiste James Hamilton a montré que 10 des 11 récessions américaines enregistrées depuis la Deuxième Guerre mondiale sont dues à la flambée des prix du pétrole ( Hamilton 2011 ). Hamilton a également montré que les effets de la flambée des prix du pétrole étaient suffisants pour provoquer la récession qui a débuté fin 2007 ( Hamilton 2009 ).