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Dans le Doubs (Bourgogne-Franche-Comté), à la frontière de la Suisse, la petite commune française de Jougne (1 872 habitants), située à 1 000 mètres d’altitude, va tester pour la première fois cet hiver 2022-2023 une installation innovante de route « chauffante » sur un tronçon de 28 mètres. Les travaux de voirie, démarrés le 21 septembre selon un arrêté du maire, viennent de s’achever.
Le dispositif, en empêchant le gel de l’asphalte, permettra d’éviter le verglas et l’accumulation de neige. De quoi faciliter les trajets des frontaliers qui empruntent ce tronçon de route pour aller travailler en Suisse tous les jours et « sécuriser cette route qui dessert 160 foyers », nous précise Denis Bertin-Guyon, adjoint au maire en charge des travaux à Jougne. Mais sur internet et les réseaux sociaux, cette route innovante suscite des critiques, à l’heure où la sobriété énergétique est de mise.
Installation des câbles électriques qui permettront de chauffer le carrefour jugé dangereux par la municipalité de Jougne. (Photo : Mairie de Jougne)Une publication, mise en ligne début octobre sur Facebook par le média en ligne dédié à l’environnement et à la décroissance Mr Mondialisation a suscité de vives réactions de la part des internautes. « Faites un effort, consommez moins d’énergie ! Pendant ce temps-là, nous, on installe des câbles chauffants sous la route pour éviter quelques désagréments à une poignée de personnes », peut-on lire dans ce post.
Nous avons contacté le maire de Jougne, Michel Morel. Surpris par la polémique, il rappelle que « toute la route n’est pas chauffée, il ne s’agit que de 28 mètres » et que « le projet est en réflexion depuis dix ans ». L’adjoint aux travaux de Jougne, Denis Bertin-Guyon, avait présenté ce dispositif à sa commune, dès 2012, après avoir observé cette innovation déjà utilisée dans les hôtels de montagne en Suisse pour accéder plus facilement aux parkings souterrains.
Éviter la neige et le verglas à un carrefour « jugé dangereux »
L’entreprise de travaux publics Colas, filiale du groupe Bouygues, en charge des travaux, nous détaille l’installation de câbles chauffants dans la commune de Jougne : « Il s’agit là de câbles électriques reliés au réseau Enedis [gestionnaire du réseau de distribution d’électricité], disposés sur le carrefour jugé dangereux », nous explique au téléphone Fabienne Bouloc, responsable des relations externes chez Colas. « Le système fonctionne comme un chauffage », nous précise encore Fabien Laforge, technicien pour l’entreprise B.E.J, cabinet d’ingénierie en infrastructure, bâtiment, génie civil, transport urbain et topographie, qui intervenue sur la route chauffante de Jougne en tant que maître d’œuvre.
Les câbles électriques installés sous la chaussée sont reliés à un coffret de commande. « Un hydro-thermostat sonde et calcule la température et l’humidité de l’air, qui permet de déclencher ou non le chauffage de la route, détaille le technicien. Ce système doit permettre d’éviter la neige et le verglas. »
Selon l’adjoint aux travaux Denis Bertin-Guyon, cette route est de plus en plus fréquentée et les accidents même s’ils sont « sans gravité extrême », restent fréquents. « Avec une pente qui va de 17 % à 24 %, j’ai peur de rouler dessus l’hiver », souffle-t-il au téléphone.
D’autres solutions moins énergivores ?
Alors que le gouvernement demande à tous les Français de baisser le chauffage à 19 °C cet hiver pour économiser l’électricité, chauffer une route de cette façon peut être considéré comme déraisonnable. C’est la position du média militant Mr Mondialisation : « Face à la raréfaction des ressources, cette infrastructure est disproportionnée et évitable », estime l’une des personnes en charge du site internet, jointe par téléphone. Pourtant le maire de Jougne souligne qu’« il ne s’agit que d’un carrefour, pas d’une route entière ».
D’autres solutions, dites à « énergie positives » auraient peut-être pu être envisagées. L’entreprise Eurovia, filiale du groupe Vinci, expérimente par exemple depuis 2017 dans le Doubs et les Yvelines un autre type de route chauffante innovante, nommée « Power Road ».
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Le principe : tirer profit des îlots de chaleur créés par le soleil tapant sur le bitume et participant au réchauffement climatique. Un système thermique stocke l’énergie produite par le soleil sur la route puis la diffuse dans un assemblage de tuyaux qui permet de chauffer la chaussée.
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L’hiver, lorsque le soleil est moins présent et moins intense, un système de pompe permet de récupérer la chaleur située dans le sous-sol pour la faire remonter dans les tubes et ainsi chauffer la route. Stockée dans un puits géothermique, la chaleur peut être utilisée pour chauffer les bâtiments voisins grâce à un réseau de tuyauterie situé à environ un mètre sous terre.
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« Le système de Vinci où d’autres, n’ont rien à voir avec notre but recherché car il est utilisé pour chauffer d’autres bâtiments, argumente Denis Bertin-Guyon. Quant à nous, le but est de sécuriser un carrefour très accidentogène. » Et pour le chauffer plus économiquement, la municipalité envisage, d’ici quelques années, de mettre en place un tracker solaire, structure motorisée garnie de panneaux solaires qui suit le mouvement du soleil, afin d’alimenter les câbles électriques chauffants. De cette façon, la route « chauffante » deviendrait autonome en énergie.