Je regardais le cours 2019 n°6 de Jean-Marc Jancovici à Mines ParisTech sur le nucléaire (devoirs de vacances obligent), qui est dans l'ensemble plutôt bon, mais deux trois affirmations m'ont fait vraiment tilter.
1) JMJ : "la fission d'1g d'uranium 235 équivaut envrion à 1tonne équivalent pétrole". Approximatif et malhonnête.
Fission d'1g d'U235 = 83.24 GJ = 23122 kWh
1 tep = 42 GJ = 11667 kWh
On voit déjà que l'affirmation est très approximative puisque c'est 2 tep.
Par ailleurs, aucune centrale nucléaire dans le monde n'utilise de l'U235 pur, ni même ne fissionne 100% de l'U235 chargé dans la cuve du réacteur.
En réalité le combustible nucléaire actuel tourne autour d'un enrichissement de 3.7% d'U235, le reste étant de l'U238 non fissile. Lorsque le combustible dit épuisé est sorti du cœur, il contient encore 0.8% d'U235.
Je propose donc la manière réaliste suivante de présenter la chose :
1g de combustible enrichi à 3.7% = 670 kWh
57.6 kg équivalent pétrole = 670 kWh
Cette équivalence correspond à la réalité d'exploitation d'installations industrielles, et pas l'énergie d'une bombe atomique comparée à une centrale au fuel.
NOTA : en considérant l'énergie libérée par la fission des sous-produits (voir discussion plus bas), il est plus réaliste de faire l'équivalence suivante :
1g combustible 3.7% U235 = 1 MWh = 85.6 kg équivalent pétrole.
2) JMJ affirme qu'on a plusieurs 10aines de millions de tonnes de réserves d'uranium naturel (Unat), et son graphique suivant son tableau des réserves montre que remplacer l'ensemble du parc électrique mondial par du nucléaire classique permettrait de produire sans problème pendant 70 ans.
Selon la Nuclear Energy Agency qui dépend de l'OCDE et son Red Book 2018, les ressources identifiées récupérables au prix de 260$/kg sont de 7989 Mt (millions de tonnes) d'uranium naturel à un taux moyen de 0.71% d'U235.
La technique d'enrichissement la plus performante qui est la centrifugation (exactement la même qui sert à enrichir l'uranium pour la bombe atomique), épuise l'uranium naturel jusqu'à 0.18% d'U235, donc dans chaque unité d'uranium naturel, seul 0.53% est fissionable après le passage par l'étape enrichissement, et à nouveau, seulement 78.4% de ce total servira à fournir de l'énergie thermique dans les centrales. En résumé sur les 0.71% contenu dans l'uranium naturel, il faut compter que 0.415% produira de l'énergie thermique in fine.
A partir des chiffres exposés ci-dessus on peut faire les calculs suivants :
1tUnat = 4150 g d'U235 produisant de l'énergie = 96 GWh thermiques
7.989Mt d'Unat = 766944 TWh thermiques
Enfin avec un rendement de conversion de l'énergie thermique en énergie électrique dans les centrales nucléaires de 33%, ces mêmes réserves pourraient donc produire 253091.5 TWh électriques.
Selon l'Agence Internationale de l'Energie, en 2018, la production électrique mondiale était de 26672 TWh (dont 2724 TWh nucléaire). Par conséquent, en remplaçant le parc de production électrique mondial uniquement par des centrales nucléaires, on pourrait produire au même niveau que 2018 pendant un peu moins de 10 ans, la différence avec l'affirmation de JMJ est de taille ! On voit par ailleurs qu'au niveau de production actuelle, les réserves identifiées récupérables correspondent à 93 ans de production au niveau actuel, sachant que comme toute ressource extractible, celle-ci connaîtra obligatoirement un pic d'extraction (elle en a déjà connu un en 1981, mais c'est largement discutable).
Alors certes, par son contenu carbone quasi nul et sa formidable densité énergétique, le nucléaire maîtrisé est une source de production d'électricité intéressante contre le changement climatique, mais la présentation quasi magique qu'en fait Jean-Marc Jancovici me semble disproportionnée.
NOTA : le but de ce post n'étant pas de polémiquer mais d'évaluer des ordres de grandeur, j'intègre donc ci-après la remarque très juste concernant les fissions secondaires. Il faut comprendre que la fission primaire de l'U235 produit à son tour des sous-produits tels que le Pu239 en particulier, capables de fissionner et donc libérer de l'énergie à leur tour. L'énergie de fission de ces sous-produits étant très proche de celle de l'U235, on peut approximer un gain de 50% d'énergie par rapport à l'énergie obtenue par la fission primaire (total d'un combustible 66% U235, 33% sous-produits dont essentiellement Pu239).
Les ordres de grandeur sont donc multipliés par 1.5, soit 15 ans d'autonomie pour un parc électrique mondial tout nucléaire type REP et 140 ans d'autonomie pour le parc nucléaire mondial actuel.
Vous faites une très grosse erreur en tenant compte du taux d'enrichissement. Ce qui compte, c'est la quantité d'U235 effectivement présente dans le réacteur. Mais ensuite, il faut aussi tenir compte de la quantité d'U238 qui va capter 1 neutron et devenir du plutonium qui va aussi participer aux réactions. Vous oubliez aussi que seulement 4% de la masse du combustible présent dans un réacteur nucléaire participe à la production d'énergie. Pour un réacteur 900 MW, selon divers critères, dont la longueur des campagnes, le combustible va fournir de 37 à 52 GWj/t. Les 1300MW sont à 47 GWj/t et les 1450 MW à 42 GWj/t.. Il s'agit de puissance thermique, qu'il faut ensuite convertir en tenant compte du rendement de l'installation.
Xavier Coeytaux La puissance thermique venant du tonnage des coeurs (157 assemblages dans les CP0, 900 MW, 193 assemblages dans les P4 1300 MW et 205 assemblage dans les N4 1450 MW), des taux d'enrichissement et du taux d'épuisement (=longueur de campagne), je ne vois pas l'erreur.
En partant de la neutronique, je peux prendre le cas d'un réacteur de n'importe quelle puissance.
Leonardo Aquino Ben disons, que vous divisez la puissance produite par 1 gr d'U235, et que tout votre calcul tend à diluer ce chiffre pour pouvoir prétendre que Jancovici est un affabulateur. C'est comme si je dis que le pouvoir salant d'un gramme de sel est moins fort dans un pain de 500 gr que dans un pain de 300 gr. Un gramme de sel aura toujours la même efficacité sur votre corps qu'il soit "dilué" dans n'importe quel aliment. Votre calcul est entaché de cette erreur basique. Et ceux qui vous félicitent ne voient pas cette erreur grossière qui déqualifie tout le reste de votre raisonnement...
Xavier Coeytaux Vu que je calcule sur la base de l'énergie produite par l'U235 et ses sous-produits, en fait je ne dilue rien, il pourrait se trouver moins enrichi ou plus que ça ne changerait pas le calcul. Par ailleurs je ne dis pas qu'il est affabulateur, mais qu'on peut présenter les choses différemment.
Leonardo Aquino Vous diluez. Jancovici parle d'un gramme d'U235, pas du taux d'enrichissement. En tenant compte d'un taux d'enrichissement, cela revient à diluer. Tout votre calcul est faux à la base .... Le pire, c'est que vous ne vous en rendez même pas compte ... Désolé, c'est vraiment une erreur de dilettante.
voilà la réponse de Jean-Marc Jancovici :
"Merci d'avoir fait suivre, et voici deux éléments de réponse :
- sur les énergies de fission et de combustion comparées, c'est l'ordre de grandeur que je mets en avant (et un ordre de grandeur n'est pas modifié par un facteur 2), et à ce stade je ne parle pas du gain des masses manipulées dans une exploitation industrielle (donc je ne compare pas une bombe atomique avec une centrale à fioul !) mais de "pourquoi l'énergie nucléaire est très dense". Un atome d'U qui fissionne c'est 200 MeV de libérés, un atome de carbone (15 fois moins lourd) qui s'oxyde c'est 4 eV de libérés (50 millions de fois moins). 1g d'U fissionné ≈ 4 tonnes de carbone qui brûlent (avec l'hydrogène ca fait un peu moins, mais le point important est le rapport un à un million entre énergie chimique et énergie nucléaire à masse identique). D'autres parties du cours montrent que cette différence d'ordre de grandeur peut être "annulée" si la teneur en uranium du minerai est très basse, par exemple.
- sur le deuxième point, le graphique que je montre ne correspond pas au temps qu'il faut pour épuiser quelques dizaines de millions de tonnes avec un parc mondial qui serait "demain matin" composé uniquement de réacteurs nucléaires, mais l'ordre de grandeur du temps qu'il faut pour épuiser le stock si le parc nucléaire croit de façon rapide "en vue d'une production quasi-exclusivement nucléaire à terme". Le point est de faire comprendre aux étudiants qu'une nucléarisation massive du parc en restant sur la fission de l'U235 bute rapidement sur un problème de disponibilité de la ressource fissile, et qu'il faut passer à la surgénération pour atteindre cet objectif.
Cela étant le calcul proposé par la personne qui a laissé la remarque minore la réalité, même dans le cas "tout nucléaire overnight" qui n'est pas le contexte de la courbe montrée. Pour 2600 TWh nucléaires produits dans le monde en 2017, il a été utilisé 70.000 tonnes d'U naturel (pas d'U enrichi) dans l'année.
Si on multiplie cela par 10 (soit un peu plus que la production électrique mondiale) ca fait 700.000 tonnes par an, et donc pour épuiser 15 millions de tonnes d'uranium récupérable à moins de 250$/livre, il faut 20 ans, et si on y rajoute celui récupérable "à beaucoup plus cher" (ce qui ne change pas beaucoup le prix du MWh nucléaire, puisque l'uranium coute aujourd'hui 1 euro le MWh électrique) on peut encore multiplier cela par 2 au moins (on serait donc plus proche de 40 ans que de 10). Toutefois mon propos reste de montrer que "ca ne passe pas" avec juste de l'U235 pour remplacer toute la production électrique mondiale par du nucléaire sur une très longue période (et là mon "contradicteur" et moi parvenons à la même conclusion). Il faut la 4è génération pour cela (à ce moment l'énergie disponible avec l'uranium augmente d'un facteur 200 et l'humanité périra d'autre chose qu'une pénurie d'uranium).
Amicalement
Jean-Marc "