Du 25 au 30 juillet 2021, la France accueillera le 19ème congrès mondial d’histoire économique à Paris [1]. Le thème du congrès est « Les ressources », un des défis majeurs du monde contemporain. Notamment le défi des ressources énergétiques. Pour l’historien de l’énergie, ce thème appelle deux interrogations : (1) sur la contrainte physique de l’approvisionnement en pétrole d’une part, dont deux manifestations historiques depuis 50 ans sont structurantes : avec la crise pétrolière et financière des années 1970 ; et avec l’exploitation du pétrole de schiste américain à partir de la catastrophe financière de 2008 ; (2) sur la contrainte physique d’autre part qui limitera inéluctablement les émissions de gaz à effet de serre résultant de la combustion des énergies fossiles. Charbon, pétrole et gaz représentaient 80% de l’énergie mondiale lorsque le GIEC fut créé en 1988. Ils représentent 80% de l’énergie mondiale, trente ans plus tard.
Il me semble donc opportun de commencer la mise en ligne de la remarquable thèse d'histoire économique de Robert PHILIPPE sur L’HISTOIRE DE L’ENERGIE AU MOYEN AGE, soutenue en 1980, jamais publiée, pratiquement introuvable aujourd'hui [2]. Sont rendues publiques dans ce premier billet :
(1) l'introduction de la thèse,
suivie de :
(2) la table des matières de la thèse.
J'ai déjà publié quelques premières analyses personnelles sur l’énergie au moyen âge [3] évoquant l'apport original de l'oeuvre majeure de R. PHILIPPE, notamment en matière d'énergie hydraulique, son interaction avec celle du grand historien Fernand Braudel [4], la grandeur de cette œuvre, et ses limites. Quarante ans plus tard, chacun pourra être fasciné par l’œuvre du disciple de Braudel, parce qu’elle s’inscrit dans cette vision de l’histoire globale, sur la longue durée, ici déclinée sur le thème de l’énergie. L’auteur, peut-être sous l’impulsion de son maître à penser, a su percevoir la valeur interprétative exceptionnelle du lien intrinsèque, essentiel, entre énergie et croissance socio-économique.
On peut concevoir aujourd’hui que la société médiévale occidentale de type post-organique, -pour reprendre la caractérisation du grand historien A. Wrigley [5] - a appuyé son développement sur quatre grands vecteurs énergétiques : trois mécaniques avec (1) le cheval, (2) le moulin hydraulique, (3) la marine à voile, qui ont métamorphosé à la fois l’industrie -y compris l’industrie alimentaire- et le transport – i.e. l’essence même du marché -; et un vecteur thermique, à base de bois et de (4) charbon de bois, qui a accompagné un développement spectaculaire de la métallurgie, à très forts impacts agricole et industriel. Cette mutation partout manifeste dans la chrétienté occidentale entraîne des gains de productivité quasi-constants, aux conséquences sociales, économiques, géopolitiques, intellectuelles, innombrables, et d’abord en dégageant des excédents agricoles, qui non seulement nourrissent une croissance démographique lente quoique très régulière, mais surtout permettent un spectaculaire développement urbain, tout particulièrement entre les XIe et XIVe siècles (voir le travail brillant de McEvedy [6]). Il y a quarante ans, Robert PHILIPPE a saisi dans sa belle thèse d’Etat – parfois trop synthétiquement- la plupart de ces grandes avancées énergétiques.
Il faudra montrer comment on peut relire cette thèse fondamentale pour l'histoire de la croissance économique et sociale de l'Occident chrétien, en opposition radicale avec le mythe de l'"histoire immobile" du XIIIe au XVIIIe siècles. Ce mythe essentiellement marxiste et malthusien a été inventé par certains historiens [7] qui ont détourné pour des raisons idéologiques le concept de la longue durée chère à Braudel. Je prie les personnes concernées – et le lecteur de ce billet- de bien vouloir comprendre qu’il ne s’agit pas ici, et dans mes publications à venir, d’attaques ad hominem. Mais ce mythe historiographique affligeant de « l’histoire immobile », basé notamment sur des travaux de reconstitution macroéconomique méthodologiquement et historiquement très contestables d’Angus Maddison (1926 – 2010) [8], fait encore florès aujourd'hui. Tel est le cas par exemple chez des théoriciens de la croissance économique pourtant réputés [9] ; ou encore chez des auteurs d'histoire globale à succès [10]. Paradoxalement, cette histoire inventée au XIXe et surtout dans la deuxième moitié du XXe siècles se nourrit d’une vision misérabiliste du Moyen Âge (« moyenâgeuse » oserait-on dire), qu'incarne bien le directeur de thèse de Robert PHILIPPE : Michel Mollat du Jourdin. L' « Energie au moyen âge » est un travail de thèse académique soutenue en 1980, peut-être à l'apex des pressions idéologiques marxiste et malthusienne sur les sciences humaines en France. En ce sens, il est admirable.
Ce mythe historiographique de l’ »histoire immobile », auquel je porterai longuement la contradiction dans mes publications à venir en remettant en cause le mythe connexe de la « crise du XIVe siècle », a de très graves conséquences, notamment sur les « sciences » économiques et sur la compréhension du défi énergétique et climatique actuel par la plupart des macroéconomistes. C’est parce qu’ils n’ont pas compris le moteur énergético-économique qui sous-tend la croissance continue en Europe occidentale depuis le VIIIe siècle, que certains historiens –et d’abord leur maître à penser Michael Postan (1899 – 1981)- ont pu inventer la « crise du XIVe siècle », alors que la cause de la fracture du XIVe siècle me semble unique, majeure, écrasante, immense, vertigineuse, épouvantable, terrifiante, consternante, déprimante, évidente : la peste et ses récurrences.
Avec ses conséquences très actuelles.
Comme Jean Gimpel dont la lecture est toujours jubilatoire [11], R. PHILIPPE décrit bien l’immense moteur énergétique qui se déclenche en Occident à partir du milieu du VIIIe siècle : rien n’est moins immobile que ce monde-là. Rien ne semblait devoir l’arrêter [12]. Le travail de l’historien manceau permet de s’affranchir du cadre de ces pensées stéréotypées, bien-pensantes (à leur époque ; mais toujours aucunement remises en cause quarante ans plus tard …), dogmatiques voire complaisantes, et de mieux discerner les ressorts de l’exceptionnelle dynamique de l’économie médiévale, dont nous sommes aujourd’hui les héritiers. Et dont nous avons à affronter les défis. Cette thèse, trop longtemps reportée, écrite à l’automne de sa vie, est donc d’abord une contribution essentielle à l’anthropologie historique.
A juste titre, Robert PHILIPPE est mentionné dans la belle synthèse de Geneviève Massard-Guilbaud [13] de 2018 sur l’histoire de l’énergie. Elle y fait référence à son œuvre majeure, incontournable, dont elle se plaint qu’elle est introuvable. Elle appelle les historiens à promouvoir une vision globale de l’histoire de l’énergie - on peut affirmer que R. PHILIPPE y aurait toute sa place- citant abondamment des grands auteurs comme F. Braudel [4], A. Kander [14], A. Wrigley [5], M. Arnoux [15], ainsi que le célèbre ouvrage collectif français « Les Servitudes de la puissance » publié en 1986 [16].
L’apport de l’ancien collaborateur de l’Ecole des Annales au succès de « Les Servitudes de la puissance : Une histoire de l'énergie », est flagrant. Il est écrit dans la première édition : « Avec la contribution de R. Philippe, professeur à l’université du Maine » [16] ; ainsi que : « (…) et sans l’apport érudit et l’amicale complicité de Robert Philippe, professeur d’Histoire du Moyen Age à l’Université du Maine, qui a bien voulu participer aux séances de travail préalables à la rédaction de cet ouvrage. »
Malgré la santé fragile de R. PHILIPPE à l’époque, son influence reste très perceptible, et sa thèse souvent citée en référence, dans le chapitre de vingt-quatre pages dédié au Moyen Age occidental, et intitulé : « Contrainte écologique et innovations mécaniques dans l’occident médiéval ». Malgré l’adjonction maladroite d’une couche d’idéologie bien-pensante (nous sommes en 1986 à la veille de l’effondrement du communisme soviétique), notamment sur la banalité des moulins, ce chapitre essentiel au cœur d’une passionnante histoire globale de l’énergie apparaît directement inspiré des réflexions du médiéviste.
Certes, l’œuvre de Robert PHILIPPE est imparfaite, parfois incomplète, parce que d’abord focalisée sur l’énergie mécanique hydraulique des moulins. Et probablement aussi parce qu’elle fut rédigée sous la pression d’échéances administratives, alors que l’historien, enfin réconcilié avec son maître Braudel, était peut-être déjà atteint par les prémices d’une longue maladie.
Elle est toujours passionnante.
Carantec, le 28 juillet 2019
Michel LEPETIT
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Robert Philippe, né le 23 novembre 1924 à Charray (Eure-et-Loire) et mort à Le Mée (Eure-et-Loire) le 12 septembre 1998, est un historien médiéviste français.
Il s'intéresse notamment dans ses recherches à l'histoire des techniques médiévales. Son maître est Fernand Braudel (1902 - 1985) avec qui il a longtemps collaboré à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes et à l'Ecole des Annales.
Agrégé, il enseigne dans les lycées. Les manuels d'histoire scolaire qu'il co-rédige à cette époque témoignent de son goût pour l'histoire globale et de son intuition du rôle central de l'énergie dans le développement humain et la croissance économique. De 1959 à 1963, il est chargé par Fernand Braudel de la direction du Centre de Recherches historiques de l’Ecole des Hautes Etudes et de la coordination de la Division d’Histoire. En 1963, Il est co-auteur avec F. Braudel et S. Baille de l'ouvrage célèbre Le Monde actuel – Histoire et Civilisations. Conservateur de musée, il a publié une histoire des civilisations. Directeur de l’Institut d’Histoire de l’Université du Mans, il a également publié une histoire de France. Docteur d’Etat, il a présenté en 1980 une thèse sur L’Energie au Moyen Age.
Sur wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Robert_Philippe_historien
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L’ENERGIE AU MOYEN ÂGE
Thèse de doctorat d’Etat soutenue en 1980 sous la direction de Michel Mollat du Jourdin
Université de Paris-Sorbonne
L'APPROPRIATION DE L'ENERGIE
INTRODUCTION : HISTOIRE ET TECHNOLOGIE
Argument de progrès, épopée de notre temps, la technologie est à la mode. Historiens des techniques, historiens des sciences, archéologues industriels, iconographes montent à l’assaut dans ce champ de recherches jusqu’alors négligé. Il est ainsi né une multitude d’histoires des techniques. Les grands traités ont embrassé avec ambition “l’ensemble des progrès du génie humain” ; des biographes ont exalté le destin des inventeurs, des sociologues se sont appliqués à démêler les relations entre changements techniques et organisation du travail ou entre niveaux technologiques et structures sociales ; des études partisanes ont inséré l’histoire des techniques dans une logique contraignante des rapports de production … En bref, l’histoire des techniques n’est plus une terre vierge.
Elle est certainement l’un des domaines dans lesquels l’histoire épouse le mieux les préoccupations et les contraintes de notre temps et trouve ses plus nouvelles assises matérielles, méthodologiques, voire idéologiques.
Mais il y a là beaucoup d’ambiguïté. Procédés, inventions, curiosités mécaniques, biographies d’inventeurs, tout cela pêle-mêle constitue de l’histoire comme aussi des récits minutieux, dramatiques ou moralisants qui racontent par le menu le cheminement des arts et métiers.
Sans doute les techniques s’inscrivent dans le quotidien et, à ce titre, l’histoire évènementielle, haletante et passionnante des progrès et de leurs artisans a droit de cité. L’histoire des techniques est autant qu’une autre assiégée par l’immédiat, l’accident. Elle a sa profusion de drames : inondations, incendies, bris d’outillages, morts d’hommes … Nous ne la touchons, bien souvent, que par ces indications catastrophiques dont sont parsemées les sources. Le cheminement des techniques, lui, est beaucoup plus discret. Au point souvent d’être difficilement perceptible. Un exemple : Où et quand le premier moulin à foulon ? En Dauphiné vers 1050 ? Dans le Forez en 1066 ? Ou, encore en Normandie où l’usage en est multiplié à la fin du XIe siècle ? Mentions plus rares au XIIIe siècle. Régression ? Abandon d’une technique d’avant-garde à cause de ses imperfections et des protestations qu’elle soulève de la part des concurrents, c’est-à-dire des fouleurs de pied ? Vraisemblablement non. La conjoncture ? Une seconde fois non. La crise commençante (elle s’appesantit sur l’Occident dès le milieu du XIIIe siècle et s’installe de 1250 à 1280) joue, au contraire, contre les procédés anciens, moins rentables que le foulage mécanique ; elle accélère la révolution technique. La reconstruction du XIVe siècle, en secteur industriel et artisanal, s’appuie sur de nombreuses reconversions mécaniques ; souvent même, le nouveau tenancier s’engage à réédifier le moulin « avant la saint-Michel prochain » en renonçant à son ancienne fonction de moulin à blé ou à tan pour l’appliquer à fouler les draps. Les faits, une fois de plus, soulignent que la présence attestée d’une technique ne signifie pas nécessairement son exploitation économique et que le progrès intervient comme argument de lutte contre les difficultés autant, sinon plus, que comme expression d’une prospérité exigeant un accroissement de la production. A retenir également la constante préoccupation de Walter Endrei, dans L’évolution des techniques du filage et du tissage : une rénovation technique est toujours une réponse au souci d’améliorer la productivité, par là, d’abaisser le coût de production. Cette complexité des conditions et des facteurs interdit de se contenter d’une simple description de l’outillage et d’une chronologie des inventions. Il faut écouter la vieille leçon de Lucien Febvre, chercher « le rôle nouveau qu’assument les machines dans la vie des hommes, la proportion entre leur nombre et la démographie ; le rendement qu’elles assurent, les modifications qu’elles imposent à l’organisation du travail » … L’histoire des techniques, en effet, ne se détache pas de leur signification économique et sociale et c’est, finalement, ce qu’il lui importe de saisir. Elle ne le peut faire qu’en restituant le milieu humain et l’exploitation des ressources dans leur qualité, leur nombre et leur dynamisme par le moyen d’une documentation iconographique multiple, par la reconstitution de séries et par la transcription cartographique des faits. En premier lieu, nous essayons de conduire une histoire attentive aux transformations de l’outillage et des procédés saisies au niveau même de l‘atelier, au moment où elles influent sur la vie.
OBJET
L’histoire de l’énergie n’est donc pas la simple histoire du moteur animal ou mécanique. Voici plus de trente ans que Lucien Febvre a dénoncé les étroitesses d’une histoire qui meut des machines, non des êtres humains, compte, énumère et recense inlassablement. Je me demande, écrit Lucien Febvre, ce que les litanies – un nom, une machine, une date -, peuvent bien représenter d’intelligible pour un lecteur dont le cerveau ne se borne pas tout entier à une mémoire mécanique ?
DEFINITION
Une transformation dans l’exploitation de l’énergie ne s’explique pas par « l’invention » mais par la façon dont la société dans laquelle nous choisissons d’étudier sa manifestation et ses effets s’ouvre à la « nouveauté » technique, nouveauté souvent présente depuis des siècles. De ce point de vue, il est aussi intéressant de savoir pourquoi, pendant telle période, la diffusion d’une technique connue ne s’est pas faite. Nous commençons donc, dans ce cas de l’énergie, par l’apprentissage du métier, la fréquentation de l’outillage, le contact avec les artisans qui survivent et l’assimilation des connaissances théoriques. Nous jugeons ainsi de l’efficacité de l’outillage, nous saisissons l’évidence de ses rapports avec la démographie, avec les économies, avec les sociétés. Le champ d’une telle histoire est un vaste espace et une grande épaisseur de temps. Mais le moyen d’étendre ainsi la recherche ? D’abord dresser des cartes de la documentation : pour les moulins, la métallurgie, l’industrie textile, inventorier les lacunes, identifier les vides irréductibles. Etablir ensuite les cartes des modes et des centres d’activité : vie agricole, villes et vie urbaine, cartes chronologiques des chantiers, courants de commerce, foyers religieux, centres intellectuels et artistiques … Superposer les cartes, noter les coïncidences, chercher la raison des contradictions. Pour l’Angleterre, grâce au Domesday Book, les volumes de H.C. Darby, fournissent un modèle malheureusement unique. Nous identifions ainsi des transformations économiques, une révolution industrielle, dont le principe est une orientation complètement nouvelle de l’exploitation de l’énergie. Posons, sur la foi de ces affirmations, que notre XIIe siècle est un XIXe siècle. Pendant la première moitié du XIXe siècle, le monde occidental éprouve un insatiable besoin d’énergie, la consommation décuple en un demi-siècle et mobilise toutes les sources d’énergie. On multiplie les installations traditionnelles : roues à aube et même moulins à vent. On valorise l’énergie hydraulique : turbine. On construit de nouveaux moteurs : machines à vapeur. Pendant la période d’expansion 1852-1873 la prospérité anime toutes les installations. La crise et la dépression hâtent l’achèvement technique et économique de la révolution industrielle : l’outillage désadapté succombe. Les transformations s’opèrent avec une plus grande rapidité au cœur des grands foyers économiques. Le retard des régions que ne touchent pas les grands courants économiques s’exagère. Examinons le bas Moyen Age à cette lumière. L’Occident pousse alors l’exploitation de toutes ses sources d’énergies. L’énergie humaine et l’énergie animale d’abord. Le moulin à eau, entré bien antérieurement au XIIe siècle dans le monde occidental, connaît sa grande diffusion pendant le XIe siècle : l’arbre à came permet toutes les applications industrielles. Le moulin à vent, à la fin du XIIe, intervient comme un appoint. La mécanisation de l’outillage se déploie, paradoxe en apparence, au cours de la période de dépression, de la fin du XIIIe au milieu du XVe siècles. Les grandes acquisitions techniques du monde occidental qui paraissent répondre à l’élan économique des XIe et XIIe siècles pallient les difficultés surgies de la crise des années 1300. Premier argument de la grandeur occidentale : la révolution mécanique et ses applications industrielles. La centralisation de l’outillage et la concentration des installations mécaniques dans les vallées des banlieues urbaines déterminent pour un millénaire la géographie industrielle de l’Occident.
PERIODISATION
L’histoire de l’énergie identifie une série de pulsations, de brusques accélérations de la consommation énergétique. Exigences soudaines qui incitent d’abord à valoriser les formes traditionnelles d’énergie : la révolution énergétique du XIXe siècle commence par la turbine, prend appui sur la machine à vapeur, atteint son assomption avec les moteurs à gaz, à essence et avec l’électricité au moment où la dépression emporte dans son reflux l’emploi, l’investissement, le revenu. Les nouveautés ne prennent ainsi que tardivement le relai de l’expansion, quand cesse la grande et éternelle mobilisation des hommes. Porteuses de quantités d’innovations techniques, souvent remèdes à une crise naissante autant que testament d’une expansion, elles sont alors englobées dans un large mouvement de protestation sociale. Marc Bloch s’est interrogé sur ces grandes conjonctures technologiques : « Pourquoi y a-t-il des périodes où cette prise de conscience de faits techniques se marque nettement ? Et d’autres dont elle semble radicalement absente ? L’explication ? Dans les faits de structure sociale. Quand les classes se ferment les unes aux autres, quand les plus riches et les plus puissants cessent de communiquer avec celles qui, dans la hiérarchie des fortunes, sont placées au-dessous d’elles, il arrive sans doute que les éléments dirigeants soient par là conduits à considérer comme indignes de leur attention tout ce qui concerne la matérialité du travail ».
Dans son introduction à la Correspondance des contrôleurs généraux avec les intendants, Boislile souligne le nombre impressionnant de brevets d’inventions pris sous le règne de Louis XIV. Or, de tout cela, rien, pratiquement, n’est sorti. Le siècle d’or de la monarchie illustrerait de cette façon la remarque de Marc Bloch. Le progrès technique, fruit bien souvent des contacts entre les aires de civilisations différentes, exprimerait aussi l’épanouissement des contacts sociaux. Dans la société du XVIIe, le cloisonnement rigoureux des ordres de la nation isole les classes dirigeantes dans le culte des thèmes patriarcaux : le dégoût de la civilisation, le retour à la pureté, à la nature et à la simplicité ancestrale. La stagnation technique serait la rançon de cette immobilité idéologique dans laquelle la centralisation monarchique enferme la pensée, preuve du fait que les classes dirigeantes méconnaissent les réalités de leur temps. Ainsi se dessinerait dans l’histoire des civilisations presque à contretemps, l’histoire de l’énergie et des techniques.
Trois univers énergétiques se succèdent : celui de l’antiquité, fondé sur l’exploitation de l’énergie humaine et animale, maintient ses structures techniques presque jusqu’à la fin du premier millénaire de notre ère ; celui du Moyen Age, fondé sur les transformations de l’énergie naturelle, l’eau et le vent, occupe tout le second millénaire, à l’exclusion de la seconde moitié du XIXe siècle ; celui du monde actuel, enfin, fondé sur l’exploitation des énergies artificielles et le seul à résoudre par l’usage de moteurs mobiles l’organisation des transports.
1 Les sociétés antiques compensent la pauvreté de l’outil par la richesse du moteur humain, énergie présente en permanence, toujours disponible, directement utilisable, modèle de régularité, mobile à souhait. Les économies antiques s’animent par une consommation exclusive, donc massive d’énergie humaine. Elles compensent la faiblesse unitaire du moteur humain par le nombre. Ainsi se tissent les liens de l’esclavage. Expansion des sociétés antiques signifie, dans le domaine social, condamnation à l’esclavage d’une grande masse d’hommes. Et tant que le moteur humain conserve sa malléabilité, sa docilité, les civilisations antiques ignorent le progrès technique : le siècle d’or de l’Empire romain connaît, en même temps que la consolidation de l’ordre monarchique, le durcissement de la condition juridique de l’esclave, la définition plus nette de condamnation à la servilité, l’intensification de l’esclavage parallèlement au développement de la grande propriété. Jusqu’au IIIe siècle, l’exploitation des grands domaines par le moyen de masses serviles demeure rentable. Mais, alors, en même temps que se désagrège l’Empire romain, le moteur humain perd sa docilité, proteste, refuse, nuit. Et c’est la faillite d’un système d’exploitation reposant sur l’énergie humaine, la dissolution des troupes d’esclaves, leur volatilisation au moment des invasions à la faveur des troubles. Certains ont ainsi pu soutenir que le refus même de l’esclave, non le tarissement des marchés, avait déterminé l’effondrement d’une économie fondée sur l’exploitation de l’homme.
2 Le Moyen Age s’ouvre ainsi par une quête d’énergies nouvelles. Le symbole en est le moulin à eau dont Marc Bloch, dès 1936, célébrait l’avènement. Cependant, les changements techniques n’entraînent de changements sociaux qu’avec leur généralisation au Xe siècle. Qu’il préside à l’équipement du domaine, qu’il soutienne l’essor des villes, qu’il assure l’alimentation des populations rurales ou urbaines, le moulin à eau est, juridiquement, un outil seigneurial, banal. L’arbre à cames, au XIIe siècle, permet des applications multiples que sollicite le commerce des draps et des armes. L’activité des villes s’évade ainsi de l’autorité seigneuriale. Et dans ce temps où le travail échappe aux mailles de l’économie domaniale, le seigneur, bien souvent, « réalise » son capital humain : les affranchissements, au XIIIe siècle, accompagnent en masse les nombreux délaissements d’ateliers domaniaux. Une évolution du droit (réinsertion du droit romain) élargit la brèche ouverte dans le monopole seigneurial de l’énergie. Simplement pour faciliter la première emprise du capital sur les grands ensembles urbains. Cette première société « technifiée » fait l’apprentissage, dès le XIVe siècle, de la vulnérabilité du progrès : viennent la sécheresse ou la crue ou le gel, les moulins chôment et le pain manque. En hâte, on réunit les moulins à bras pour renouer avec ce qui, tout en demeurant présent, est déjà un archaïsme. Jusqu’au XIXe siècle, rien ne change dans l’exploitation de l’énergie : le moteur s’accroche toujours à la source. La seconde révolution, c’est le moteur à combustible, premier déracinement de l’énergie.
3 L’avènement du moteur mobile, au XIXe siècle, ouvre l’âge actuel : premier bouleversement de l’espace, avec la révolution des transports et nouvelle colonisation industrielle du monde à laquelle les transformations politiques et sociales du XVIIIe siècle ont ouvert les voies. Fin des vieilles aristocraties, réexamen de la propriété des eaux courantes, avènement du moteur mobile à grande puissance dont la régularité répond aux nouvelles conditions économiques. La révolution des transports et la mobilité de l’énergie libèrent l’industrie des servitudes de la géographie : nouvelle répartition plus directement liée aux facilités des transports qu’aux données primaires de la géographie ou de l’hydrographie. Fin du Moyen Age énergétique.
Ces trois étapes de l’utilisation de l’énergie établissent les cadres chronologiques de son histoire : une période antique (jusqu’au VIIIe siècle après J.C.) pendant laquelle les sociétés s’appuient sur l’énergie animale et plus particulièrement l’énergie humaine, un long Moyen Age (VIIIe-XIXe siècle) pendant lequel le moteur fixe, condamne l’activité industrielle à s’accrocher au dessin des rivières et à supporter les caprices du régime des eaux. Enfin une période contemporaine dominée par le moteur mobile et, en conséquence, la profonde révolution des transports.
L’énergie ne se valorise que par une application à un travail défini pour la production d’un effet utile. Première nécessité technique : la captation de l’énergie brute. Deuxième opération : la conversion en mouvement productif : l’énergie humaine même, la plus souple, s’exprime rarement, dans le domaine industriel, en un mouvement directement utilisable, elle n’agit que par le secours de l’outil. Troisième problème technique : la transmission et l’adaptation à l’outil.
La captation de l’énergie animale se résout par la domestication de la bête, par l’asservissement de couches considérables de la population dans les sociétés antiques. La domination de cette énergie, liée à la solidité des institutions politiques, échappe dans les périodes troublées. Pour certains le refus, la rébellion de la main d’œuvre servile (révolte d’esclaves) aurait suscité les innovations techniques. Pour d’autres, qui n’acceptent pas cette prévalence de l’explication sociale, le coût relatif de l’une ou l’autre des énergies déterminerait le choix. La captation de l’énergie naturelle ne se réalise qu’au prix d’aménagements considérables : pour le moulin à eau, établissement d’un bief, contrôle de l’écoulement des eaux par un système d’écluses, maçonnerie pour l’installation de l’appareil moteur, rouets et engrenages en bois spéciaux comme le cormier, axe moteur et portant de la meule tournante presque toujours en fer … Cette infrastructure qui représente un investissement lourd limite à l’aristocratie foncière le bénéfice de l’exploitation de l’énergie naturelle. Le moulin à vent, tard venu dans les sociétés d’Occident ne demande qu’un investissement moindre : socle en maçonnerie, châssis ou toit orientable, ailes garnies de toile « prenant » le vent pour en transformer son mouvement linéaire en mouvement rotatif. Le bon marché de l’énergie éolienne explique la brusque floraison des moulins à vent dans les régions que le climat sec condamnait à l’état de déserts énergétiques, île de la Mer Egée par exemple. Les applications immédiates et directes de l’énergie brute sont rares : l’attelage et la voile qui en épousent l’intensité et la direction en sont les seuls exemples. La conversion en mouvement circulaire est l’ordinaire principe de la transformation utile, de la production d’un travail. L’élémentaire moteur humain, le couple homme (moteur) – manivelle ou roue motrice -, recèle déjà, en réalité, les principes de toutes les conversions et en particulier le principe de la bielle. Premier « affranchissement » de l’énergie, la roue à aubes, la conversion en mouvement circulaire de la fuite du courant ; les premières installations paraissent utiliser également les roues à axe vertical et les roues à axe horizontal. Dans le domaine occidental, la roue à aubes à axe horizontal l’emporte. Facilité ? Adaptation aux conditions naturelles ? Rendement supérieur ? En tous cas, l’Orient répond plus diversement aux sollicitations techniques, usant ici des grandes roues à aubes élévatrices ou motrices, là des petites machines à fosse ou à puits dans lesquelles la rotation naît du choc de l’eau sur les pales horizontales fixées, comme les rayons sur un moyeu, à un axe vertical. La technique du moulin à axe vertical paraît si exactement liée à l’Orient musulman que l’aire de sa diffusion – et de sa permanence actuelle sous la forme primitive -, correspond à l’aire maxima de l’expansion de l’Islam.
L’épopée de l’énergie est ainsi, à force de temps, la conversion d’un énorme espace et de sociétés diverses à l’énergie mécanique. L’organisation de l’économie domaniale paraît créer une bien plus grande perméabilité à cette métamorphose de l’outillage, du travail et de la production. Elle engendre, de l’an Mille à la fin du XIIIe siècle, une véritable floraison de moulins à eau, au point de surpeupler les rivières.
La récession économique qui déclenche les émeutes urbaines des années 1280 et s’appesantit sur l’économie occidentale jusqu’au milieu du XVe, envenime les conflits, entre les fouleurs de moulin et les fouleurs de pied par exemple. Le malaise économique, déjà, incite à mettre en cause le progrès technique dont les difficultés de l’heure accentuent les avantages et hâtent l’affermissement au détriment des formes traditionnelles non sans paralyser le développement des équipements. La reprise de la fin du XVe siècle, aiguisée par les tâches de reconstruction, caractérisée par la naissance d’une grande métallurgie et le développement de véritables complexes industriels du fer, gonfle démesurément la demande en matières premières et surtout, achoppe sur le prix de l’énergie : énergie calorique, argument des « arts du feu », tuileries, verreries, et de la métallurgie. Le secteur domestique en souffre : dans les villes, on manque de bois pour se chauffer tandis que les industries du feu mobilisent de véritables armées pour assurer leur approvisionnement : aux archives de Dijon, le rouleau B.9.539, en fournit un extraordinaire exemple (1315/1317) : 423 bûcherons travaillent dans la forêt de Lesayes pour l’alimentation de six fourneaux, contenant chacun 21 milliers de carrons (carreaux de terre cuite) ; chaque bûcheron reçoit 7 deniers par jour et 334 bouviers amènent le bois au fourneaux.
De nouveau moyens d’acheminement permettent aux grandes villes de résoudre temporairement le problème : l’organisation du flottage sur l’Andelle qui rejoint la Seine à Pont-Saint-Pierre permet à la ville de Rouen de tirer son bois de la forêt de Lyons. L’économie urbaine sans perdre ses dimensions domaniales, s’évade cependant bien au-delà de sa banlieue, une banlieue que le développement industriel métamorphose. L’industrie textile transforme Darnétal, satellite de la draperie rouennaise, en concurrent. Ainsi, tandis que se tissent des liens plus lointains, les relations proches se durcissent.
LA REVOLUTION INDUSTRIELLE
La piste de l’explication économique et sociale est le cheminement des nouvelles techniques. Leur insertion dans les cadres seigneuriaux, laïcs ou ecclésiastiques, leur agglutinement dans les villes suggèrent ce qui, dans l’ordre économique et social, favorise l’expansion.
D’abord, des questions. Existe-t-il une proportion constante entre telle organisation sociale et telle densité de moulins ? Pourquoi le surpeuplement des rivières en moulins à blé dans telle région ? Pourquoi la priorité des industries alimentaires ? Pourquoi cet effet stimulant de l’industrie textile ? Qui finance ces installations ? D’où proviennent les matériaux ? … Mais aussi : quelles couches sociales bénéficient de ce renouvellement ? Leur enrichissement modifie-t-il la hiérarchie sociale ? Quelles nouvelles formes d’exploitation naissent de l’importance des investissements ? ...
Est-ce là vraiment, la « première révolution industrielle » ? Les économistes demandent à voir. Phénomène de masse ? Ampleur des investissements ? Importance numérique et globale des participations en capital et en travail ? Part proportionnelle des activités industrielles dans le mouvement général de la production ? Et, pour retourner au vocabulaire médiéval, souveraineté ou vassalité de l’activité industrielle ? L’énergie hydraulique arrache au palais dont elles étaient des annexes de multiples activités : filage, tissage et foulage, forge, armurerie ; elle en suscite de nouvelles : papeterie, poudre, grandes forges et grosse métallurgie ; elle privilégie les activités proprement industrielles au détriment des activités alimentaires traditionnelles. En 1956, dans les Cahiers d’Histoire Mondiale, Bertrand Gille a tracé l’esquisse des Développements technologiques en Europe de 1100 à 1400 et il vient d’en donner un nouvel aperçu dans son Histoire des techniques. Comment, dans un champ si vaste, délimiter les régions industrielles, définir les solidarités techniques, économiques et humaines en prenant appui sur une documentation aussi lacunaire et aussi dispersée ? C’est le problème, posé et résolu à sa façon par Guy Bois dans sa Crise du féodalisme de l’insertion de la macroanalyse dans une microhistoire. Nous avons, pour notre compte, retenu les pays d’entre Seine et Loire pour conserver un peu de la grande part du continent que voulait étreindre le projet primitif. C’était peu de temps après La Méditerranée à l’époque de Philippe II. Nous avions pensé que, prendre la terre d’Occident tout entière, ce serait faire bonne figure, face à l’immensité fluide. Mais le temps qui a trop passé depuis l’idée première nous éloigne aujourd’hui de cette ambition démesurée, sans trop de sagesse d’ailleurs, puisque nous prenons d’un bloc à peu près le tiers du royaume.
L’objet de cette étude est, en premier lieu, de suivre de façon concrète et multiple l’installation dans l’espace et dans le temps des moulins à eau et à vent. Il s’agit d’apprécier quelles modifications dans l’outillage, l’organisation du travail et la production provoquent ces nouveaux appareils moteurs. C’est, au total, une identification des aspects techniques, de l’ampleur et des répercussions immédiates de cette première révolution industrielle. L’aboutissement de cette démarche est une explication économique et sociale de la diffusion des nouvelles techniques : suivre leur insertion dans les cadres de l’économie domaniale, dans les communautés religieuses, dans les sociétés urbaines ; discerner ce qui, dans l’ordre économique et social, en favorise l’expansion. Existe-t-il une proportion constante entre telle organisation sociale et telle densité de moulins ? Pourquoi ce surpeuplement des rivières en moulins à blé dans telle région. Pourquoi cet effet stimulant de l’industrie textile ? Qui finance ces installations ? D’où proviennent les matériaux ? …
Mais aussi : quelles couches sociales bénéficient de ce renouvellement ? Leur enrichissement modifie-t-il la hiérarchie sociale ? Quelles nouvelles formes d’exploitation naissent de l’importance des investissements ? …
Cette révolution technique incite les esprits à un enthousiasme pour la mécanisation, à un émerveillement technique. Cet intérêt pour les réalisations mécaniques, la prise de conscience de leur portée, de leurs succès inclinent les intellectuels à concevoir la valeur du travail et c’est seulement alors que la considération sociale commence à s’attacher aux « métiers » et aux « gens mécaniques ».
Bilan de la recherche : une mesure du progrès de l’équipement technique. La discontinuité de la documentation statistique, les difficultés que l’histoire médiévale oppose à la conduite d’études quantitatives n’empêchent pas de distinguer avec facilité :
1 Une période de véritable floraison des moulins à eau : XIe milieu du XIIIe siècle : vers le milieu du XIIIe siècle, les moulins surpeuplent littéralement les rivières ; de 1150 à 1250, les seigneurs comblent les communautés religieuses de rentes sur les moulins qu’ils édifient ; pendant cette même période, les moulins à vent se multiplient sur les fronts de mer où fonctionnent déjà les moulins de marée et pullulent dans l’intérieur des terres. Les grandes transformations de l’outillage apparaissent à cette époque.
2 Une récession économique dès la fin du XIIIe siècle et qui s’appesantit sur l’économie occidentale jusqu’au milieu du XVe : les difficultés atteignent surtout le vieil artisanat, enveniment par exemple, les conflits entre les fouleurs de moulin et les fouleurs de pied, suscitent les protestations des métiers. Cette crise n’enraye pas les progrès de l’équipement technique mais on y décèle, pour certains secteurs industriels, les indices d’un suréquipement auquel s’efforcent de remédier les reconversions d’outillage.
3 Une reprise dans la fin du XVe siècle. Pendant cette période la consommation technique (bois, métaux …) confère à l’approvisionnement en matières premières une grande acuité : le manque de bois est, pour les villes, souvent aussi angoissant que le manque de vivres. Le flottage du bois résout alors partiellement l’acheminement massif du combustible. Mais à cette époque, l’équipement énergétique du monde occidental est achevé. Et son nouvel équilibre technique persiste jusqu’au XVIIIe siècle ; ce n’est vraiment que vers le milieu du XIXe siècle que l’application du moteur mobile (machine à vapeur) aux transports et à l’industrie en bouleverse les conditions.
METHODE
LA GEOGRAPHIE
Le champ d’une telle histoire est un vaste espace et une grande épaisseur de temps : ce n’est ni de l’ordre d’une province, ni de l’ordre d’un siècle. Les pays d’entre Seine et Loire, du XIe au XVe siècle, ce n’est pas une mesure commune, et, disons-le net, à peine une mesure : c’est un cadre souple, ouvert, non pas forcément réduit à ses limites.
C’est pour nous l’ensemble des pays, qui, dans l’ample domaine des influences océaniques, reçoivent et développent, pendant le dernier demi-millénaire du Moyen Age, de nouvelles techniques d’exploitation de l’énergie – moulin à eau et moulin à vent- pour les appliquer à un outillage mécanique : moulin à foulon, moulin à minerai, martinet, moulin à papier. Une large confrontation est nécessaire sans quoi le cheminement des techniques est insaisissable et leur signification économique et sociale échappe. Sans le cadre géographique, leur implantation est incompréhensible.
Mais le moyen d’étendre ainsi la recherche ? D’abord dresser des cartes de la documentation : pour les moulins, la métallurgie, l’industrie textile. Ensuite, inventorier les lacunes, identifier les vides, recenser les sous-développements. Etablir les cartes des modes et des centres d’activité : vie agricole, villes et vie urbaine, cartes chronologiques des chantiers, courants de commerce, foyers religieux, centres intellectuels et artistiques… Superposer les cartes, noter les coïncidences, chercher la raison des contradictions. Ce premier travail graphique suggère les orientations de la recherche. Pour l’Angleterre, grâce au Domesday Book, les volumes de H.C. Darby sur la géographie du Domesday Bookfournissent un confortable point de départ : The Domesday Geography of Midland England, Cambridge 1954… Voici définis à grands traits l’espace et le temps. Les problèmes ? Par prudence, refusons de les compter sur le nombre des explications : essor démographique, donc expansion de la consommation ; défrichements et croissance de l’équipement, mouvement urbain… Nous identifions des transformations économiques profondes en rapport avec une révolution industrielle dont le principe est une orientation complètement nouvelle de l’exploitation de l’énergie. Posons, sur la foi de ces affirmations, que notre XIIe siècle est un XIXe siècle.
Examinons le XIIe siècle à cette lumière. L’Occident pousse alors l’exploitation de toutes ses sources d’énergie. L’énergie humaine et l’énergie animale d’abord : il est vraisemblable que dans la fin du XIe et le début du XIIe siècle le nombre de moulins à chevaux s’est accru et que leurs applications se sont multipliées (moulin à huile, moulin à minerai, pompage de l’eau). Le moulin à eau, entré bien antérieurement au XIIe siècle dans le monde occidental, ne connaît sa grande diffusion qu’à cette époque : c’est alors que l’arbre à cames en permet toutes les applications industrielles. Enfin le moulin à vent, dont la présence est attestée en Normandie à la fin du XIIe et en Angleterre dès le début du XIIIe siècle, intervient comme un appoint, non à l’origine, comme une source concurrentielle d’énergie. Les rivalités, pour des raisons économiques et juridiques (le moulin à vent n’est pas banal), s’engagent pendant la seconde moitié du XIIIe siècle. Notons aussi que le développement de l’outillage mécanique ne paraît pas se réaliser dans la meilleure période, mais au contraire, au cours de la période de dépression (fin du XIIIe au milieu du XIVe siècle). Les grandes acquisitions techniques du monde occidental paraissent ainsi répondre à l’élan économique des XIe et XIIe siècles. Elles accélèrent l’expansion et creusent l’écart entre l’Occident, où se diversifient les applications industrielles du moulin, et le monde musulman par exemple dans lequel ne se déploient pas les utilisations mécaniques. Les acquisitions techniques de l’Occident modèlent une géographie industrielle marquée par la centralisation de l’outillage ; la concentration géographique des installations mécaniques répond à des conditions économiques et techniques : elle s’effectue dans les vallées des banlieues de villes.
LA CHRONOLOGIE
L’histoire de l’exploitation de l’énergie enregistre une série de pulsations qui s’expriment par un brusque et considérable besoin énergétique. Ces exigences énergétiques nouvelles incitent d’abord à valoriser les formes traditionnelles d’énergie exploitée : pendant la première moitié du XIXe siècle, l’introduction de la turbine double le rendement des moteurs hydrauliques dans le moment où se développe l’exploitation des formes nouvelles d’énergie. C’est alors que des techniques connues dans leur principe depuis des siècles prennent leur signification économique et sociale : au XIIe siècle, se généralise l’emploi du moulin à eau connu depuis le IIIe siècle avant J.C.. Des indices communs permettent d’identifier trois grands moments de l’histoire de l’énergie : dans ces moments, le travail s’apprécie, l’homme devient cher et le plein emploi ne résout pas la disette d’énergie : alors s’effectue la mise en place d’un équipement énergétique nouveau : IVe-IIIe siècles avant J.C. / XIe-XIIe siècles / XIXe siècle. Ces grands moments de l’histoire de l’énergie ne coïncident pas avec les grands siècles dans lesquels nous avons accoutumé d’enfermer les grandes périodes de notre civilisation. Marc Bloch, dans un article sur les transformations techniques en suggère l’explication : « Pourquoi y a-t-il des périodes où cette prise de conscience (prise de conscience de l’importance des faits techniques) pourquoi, donc, y a-t-il des périodes où cette prise de conscience se marque nettement ? et d’autres dont elle semble radicalement absente ? L’explication ? Dans les faits de structure sociale. Quand les classes se ferment les unes aux autres, quand les plus riches et les plus puissants cessent de communiquer avec celles qui, dans la hiérarchie des fortunes, sont placées au-dessous d’elles, il arrive sans doute que les éléments dirigeants soient par là conduits à considérer comme indigne de leur attention tout ce qui concerne la matérialité du travail ».
LA TECHNOLOGIE
La connaissance technique est le point de départ nécessaire de la recherche. Première tâche, apprendre le métier. Faire son initiation peut consister à lire avec amusement les manuels de la fin du XVIIe siècle et du XIXe siècle dans lesquels la conception de l’enseignement est très voisine de celle du catéchisme. C’est la pédagogie du Manuel du fileur-cordier, par demandes et réponses, également utile aux agriculteurs du chanvre, aux navigateurs, armateurs, ingénieurs et entrepreneurs de mécanique, relativement aux ouvrages qui exigent des cordages d’une grande résistance, par Gavoty, à Paris, 1810. Voici, à titre d’exemple, page 63 : « Sur l’usage où l’on est de livarder le fil-à-quarré, en sortant de la main de l’ouvrier. Le Professeur… « Expliquez-nous si un fil poli peut être plus résistant qu’un fil rustique, c’est-à-dire tel qu’il sort de la main de l’ouvrier. Les Elèves : « Le fil sort de la livarde avec chaleur et fumée, quoique cette livarde n’ait que 18 pouces de longueur : eh ! que serait-ce si elle était du double ! « Poursuivons le jeu. Qu’est-ce que la livarde ? La livarde est une corde d’étoupe avec laquelle le cordier resserre les torons et cordelles contre le noyau ou âme, ou mèche centrale du câble au sortir du toupin. Les torons ? Le toron est un assemblage de fils de caret tournés ensemble. Le toupin ? Le toupin est un instrument employé pour le commettage des grosses cordes, dit aussi gabieu. Le commettage ? Le commettage est l’action d’assembler des haussières pour faire des câbles et des grelins… Laissons. Ces quelques exemples suffisent à montrer quel merveilleux et riche univers ouvre le vocabulaire technique.
Cependant, le vocabulaire n’est guère plus qu’un musée de choses mortes. La connaissance du métier, c’est la pratique, la familiarité du geste, l’exercice. L’art du meunier ne se connaît que dans le moulin où l’oreille perçoit, dans la symphonie des bruits, la moindre anomalie de la rotation du rouet ou du travail de la meule. La fréquentation de l’artisan dans son atelier est un stage indispensable, jusqu’à ce que naisse, comme une complicité, la grande joie secrète d’être du métier.
A cette lumière, les sèches indications des textes se chargent de sens et les mentions éparses font corps, apportant témoignage sur la conduite du travail, la quête de l’ouvrage, la maintenance de l’outil, les disciplines du métier.
RESULTATS ET PERSPECTIVES
Le nombre, la nature et l’importance des formes d’exploitation montrent à l’évidence le rôle déterminant de l’énergie dans l’évolution des sociétés, des économies et des mentalités. La chronologie des grandes mutations techniques dessine d’apparentes contradictions entre les mouvements de l’économie et les accélérations des innovations mécaniques : ce sont les étranges contretemps du progrès technique. Enfin, l’observation, sur une longue durée, des transformations de l’outillage et de l’insertion des structures techniques neuves dans des cadres économiques et sociaux nouveaux, montre la longue coexistence de systèmes cohérents d’âge et de niveau différents.
Nous avons fondé les articulations chronologiques de notre développement sur la maîtrise économique et technique de l’énergie. Trois phases : appropriation de 1000 à 1200 - libération de 1200 à 1300 - pénurie et cherté de 1300 à 1500. La première étape est l’âge d’or de la révolution énergétique médiévale : les investissements et le ban établissent pendant deux siècles un monopole seigneurial dont s’accommodent volontiers les tenanciers de la terre. Cette prodigieuse montée des équipements énergétiques relancée à la fin du XIIe siècle par le recours à l’énergie éolienne, se clôt avec la saturation des rivières et le suréquipement.
En réalité, la mutation du seuil du XIIIe siècle n’est pas seulement technique. Elle marque l’avènement d’un outillage à vocation économique et technique nouvelle : c’est la rénovation, surtout dans le cadre urbain et sous l’influence de la bourgeoisie, de l’activité artisanale. L’atelier n’y est plus conçu comme l’officine travaillant à façon la matière première de l’usager mais comme pourvoyeur d’un commerce à long rayon de produits élaborés, tissus, fers, armes, teintures… C’est pourquoi, pendant le XIIIe siècle, se développent en même temps les concentrations urbaines d’énergie, leurs applications mécaniques. La libération de l’énergie accompagne la mutation économique et technique. De contestations en contestations, s’affirme la notion d’intérêt public. La multiplicité des usagers de l’eau favorise l’appesantissement de l’autorité royale, laquelle s’identifie avec l’intérêt commun et ne prend pour critère des nouvelles installations que l’utilité ou la nuisance. La réinsertion du droit romain apporte une arme juridique à cette offensive contre le monopole seigneurial. Pendant le XIIIe siècle, un outillage surtout urbain et à gestion bourgeoise se juxtapose à l’ancien outillage seigneurial et accapare les fabrications industrielles à vocation commerciale.
Les XIVe et XVe siècles sont le temps de l’épanouissement des arts du feu. La révolution métallurgique, le bond prodigieux des tuileries, la multiplication des verreries accompagnent une métamorphose des usages domestiques. Chez les « bourgeois » c’est-à-dire les habitants des villes, le fer, la terre cuite et le verre se substituent au bois et la tuile remplace les essentes sur les toits des maisons urbaines. Cette fringale d’énergie calorique coïncide avec l’arrêt des défrichements, pourvoyeurs abusifs et gaspilleurs de bois. L’ancienne économie du bois à court rayon est incapable de répondre à l’énorme demande d’une consommation industrielle et technique gonflée par le développement industriel et les grandes réalisations monumentales. Alors commence la disette de bois, cette nouvelle famine urbaine plus assiégeante désormais que les épisodiques crises de subsistances ou que les assauts de l’épidémie. On inaugure avec le flottage par trains de bâche, de nouveaux modes d’cheminement et l’on sollicite de plus lointains foyers d’approvisionnement sans desserrer l’étreinte de cette pénurie de combustibles. Les prix flambent. Quelques industries succombent, comme les salines de la Normandie qui fournissaient un beau « sel fin, blanc et délié » par dessiccation à la chaudière d’un saumuré que le climat normand ne pouvait que concentrer. La cuisson, seule, achevait la fabrication. Le grand commerce du sel tue ce réseau ténu de production locale. La cherté du bois se répercute sur tous les coûts d’installation : le prix des moulins décuple et, dans cette conjoncture de resserrement, les disparitions d’outillage ne sont pas toutes à mettre au compte des destructions de la guerre de Cent ans !
Cependant, l’ancien réseau domanial de l’énergie continue de vivre. Il est si bien noué aux mailles étroites de la vie rurale qu’il poursuit sa carrière jusqu’au milieu du XXe siècle. Les moulins domaniaux, confinés dans leur fonction alimentaire et dans le travail à façon, ne succombent qu’avec la toute récente révolution agricole. Ces longues cohabitations de structures économiques, sociales et techniques différentes, ces stratifications techniques expriment la souplesse et les étonnantes capacités d’adaptation de l’économie « d’Ancien Régime ». Notre analyse repose sur un inventaire déjà considérable mais partiel des installations énergétiques et de leurs développements mécaniques. L’aboutissement d’une telle recherche et l’exploitation de ces résultats ne se peut concevoir que dans un cadre collectif. Notre espoir est de dégager plus largement les implications de l’énergie dans l’histoire des techniques, dans l’évolution des économies et des sociétés, dans la vie intellectuelle et spirituelle.
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TABLE DES MATIERES
TOME 1.1
L’APPROPRIATION DE L’ENERGIE
INTRODUCTION : HISTOIRE ET TECHNOLOGIE
OBJET
Définition
Périodisation
La révolution industrielle
METHODE
La chronologie
La technologie
RESULTATS ET PERSPECTIVES
CHAPITRE 1 : LA REVOLUTION ENERGETIQUE
LES RESSOURCES
L’eau
Le vent
Le feu
Les bêtes
Les gens
LES AMENAGEMENTS
L’avènement du moulin à eau
Les aménagements hydrauliques
Le moulin à vent
Les moulins à bras et à chevaux
Les fours et les foyers
LES ESPACES
Les aires de fréquentation
Les aires d’approvisionnement
Les solidarités énergétiques
Les lacunes
Le développement et le sous-développement
CHAPITRE 2 : LA REVOLUTION MECANIQUE
LE MOUVEMENT CIRCULAIRE
Le moulin à blé
Les meules
Le moulin à braise ou à gru
LE BROYAGE ET LA FRICTION
Le moulin à huile
Le moulin à garance
Le moulin à émoudre
LE MOUVEMENT LINEAIRE ALTERNATIF VERTICAL
L’arbre à cames
Le battoir
Le moulin à foulon
CHAPITRE 3 : LE TRAVAIL A FAÇON
L’OUTIL ET SON USAGE
Les ateliers domaniaux
Les artisans domaniaux
La clientèle
LE TRAVAIL
L’ouvrage
La maintenance
Les disciplines
L’ECONOMIE DE L’OUTIL
La polyvalence de l’outil
La polyvalence de l’exploitation
Le produit : coût et revenu
CHAPITRE 4 : LE BAN ET LES BANALITES
LE DROIT ET LES JURIDICTIONS
La propriété du fonds
La propriété de l’eau
La propriété de l’énergie
L’AUTORITE SEIGNEURIALE
L’usage de l’outillage banal
L’exercice de l’autorité seigneuriale
Les abrègements
LES ENTREPRISES DE L’ENERGIE
Les monopoles
Les conflits
Les procès
CHAPITRE 5 : L’EXPANSION
CONSOMMATION
Consommation alimentaire
Consommation domestique
Consommation technique
PRODUCTION
La multiplication du pain
La prolifération des moulins
L’abondance du bois
DISTRIBUTION
Les acheminements
Les quêtes
Les confluences
TOME 1.2
LA MOBILISATION DE L’ENERGIE
INTRODUCTION
CHAPITRE 6 : LA MOBILISATION ENERGETIQUE
LES PROBLEMES TECHNIQUES
La puissance
La vitesse
La transmission
LES SOLUTIONS
La multiplication
La concentration
La saturation
LES SANCTIONS ECONOMIQUES
La productivité
La rentabilité
La gestion
CHAPITRE 7 : LES INVENTIONS
L’ACCUMULATION
Les réserves hydrauliques
Les réserves thermiques
Les réserves biologiques
LA REVERSIBILITE
La pesanteur
La détente
L’ambivalence
LA SPECIFICITE
Les produits
La première transformation
Le bilan mécanique
CHAPITRE 8 : LE TRAVAIL LIBRE
LES LIBERTES
Le travail
L’énergie
Les travailleurs
LES DISCIPLINES
Le métier
La réglementation
L’heure
LES NOUVELLES CONTRAINTES
Les interdits
Le serment
Les hiérarchies
CHAPITRE 9 : L’INTERET PUBLIC
LES BIENS
Le domaine privé
Le domaine commun
Le domaine public
LES PERSONNES
Les partenaires
Les liens
Les situations
LES ACTIVITES
Les métiers de bouche
Les métiers « domestiques »
Les métiers du bâtiment
CHAPITRE 10 : LE REFLUX
LA CONJONCTURE
La conjoncture politique
La conjoncture économique
La conjoncture démographique : les fronts pionniers
LE MOUVEMENT SECULAIRE
Les accaparements
Les engagements
Les faillites
L’EXPANSION ET LE REFLUX
L’expansion
Le flux
Le reflux
TOME 1.3
REVOLUTION INDUSTRIELLE ET CRISE DE L’ENERGIE
INTRODUCTION
CHAPITRE 11 : LES DESTINS DE L'ENERGIE
L'ENERGIE HYDRAULIQUE
Les anciennes installations
Les nouvelles orientations
Les ajustements
L'ENERGIE THERMIQUE
La consommation
L'approvisionnement
L'aristocratie du bois
L'ENERGIE ANIMALE
Les emplois
Les types
L'homme
CHAPITRE 12 : LA REVOLUTION INDUSTRIELLE
LES REVOLUTIONS
La métallurgie
Les arts du feu
Le papier
LES RENOVATIONS
L'eau
Le mécanisme
La navigation
LES RECONVERSIONS
Les moulins
Les fours
CHAPITRE 13 : LE CAPITAL
LE FONDS
L'aire
L'énergie
L'outil
LES INVESTISSEMENTS
La construction
L'entretien
La répartition
LA RENTE
CHAPITRE 14 : LE TRAVAIL
L'EXALTATION DU TRAVAIL
LA QUALIFICATION
L'apprentissage
La connaissance technique
Les vertus du métier
CHAPITRE 15 : L'AGE MODERNE
LES MOULINS
Le moulin banal
Les moulins urbains
Les premiers complexes
LE TEXTILE
L'atelier domanial
L'atelier artisanal
L'atelier industriel
LE FER
Les forges domaniales
L'atelier du forgeron
La forge grossière
CONCLUSION
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NOTES ET SOURCES BIBLIOGRAPHIQUES
[1] http://www.wehc2021.org/fr/wehc-2/
http://www.wehc2021.org/fr/theme/
[2] Philippe Robert (1980) – L’énergie au Moyen âge – Université de la Sorbonne (Thèse d’Etat)
TOME 1.1 : L’appropriation de l’énergie
TOME 1.2. : La mobilisation de l’énergie
TOME 1.3. : Révolution industrielle et crise de l’énergie
Bibliographie et sources
Inventaire topographique
Glossaire
Site ce internet : https://www.linkedin.com/pulse/lenergie-au-moyen-age-de-robert-philippe-1923-1998-à-michel-lepetit/?published=t
Avec une table des matières détaillée
[3] Lepetit Michel (2013) - XIe-XIIIe siècles – la première révolution énergétique - Histoires de France N°4
Lepetit Michel (2014) - 1346 : les limites de la croissance- La transition économique du XIe au XIVe siècle - Une transition économique soustenable et résiliente - Histoires de France N°12 & N°13
https://www.linkedin.com/pulse/1346-les-limites-de-la-croissance-michel-lepetit/
https://www.linkedin.com/pulse/1346-les-limites-de-la-croissance-2ème-partie-michel-lepetit/
[4] Braudel Fernand (1986) - L’identité de la France - Arthaud Flammarion
Voir les pages 555 et suivantes
[5] Wrigley Edward Anthony (2016) - The Path to Sustained Growth - England's Transition from an Organic Economy to an Industrial Revolution – Cambridge University Press
J’ai entrepris de faire traduire en français cette oeuvre majeure, essentielle
[6] McEvedy Colin (1992) – The new Penguin atlas of medieval history
[7] Le Roy Ladurie Emmanuel (1974) - L'histoire immobile, Annales - Économies, Sociétés, Civilisations
« Au terme de ces considérations d’itinéraire, j’en viens à l’objet même de ce cours, autrement dit à une certaine société traditionnelle et rurale, depuis la fin du Moyen Âge jusqu’au début du XVIIIe siècle ; le fait est que celle-ci constitue, à beaucoup d’égard, un objet, dont les dimensions chiffrées, en dépit de vastes fluctuations, tendent toujours à revenir vers le strict plafond d’une constance. Je ne prétends certes pas que la « France » des années 1300 ou 1700, dans les limites du quasi-hexagone de l’époque Vauban, forme une unité organique. Cette France-là, d’avant la francisation, n’est qu’une fenêtre ouverte sur le monde, grâce à laquelle il nous est possible de découper un important échantillon d’humanité. Elle contenait 19 à 20 millions d’habitants que nous qualifierons par commodité de « Français » lors des dénombrements de Vauban, disons vers 1700. Or il se trouve que les très nombreuses études nationales et régionales qui gravitent autour de l’Etat des feux de 1328, confirmés par de multiples monographies provinciales, indiquent ceci : le même pays, dans les mêmes frontières (qui non existantes encore en 1320, ne constituent pour nous qu’un découpage de commodité) avait au bas mot 17 millions d’âmes vers 1300-1340. Au total, en quatre siècles, de 1300-1340 à 1700-1720, la hausse égale seulement 2 millions de personnes. Qui dit moins ! »
[8] Les données qu’exploite les héritiers du « projet Maddison » de reconstitution mondiale des PIB ( https://www.rug.nl/ggdc/historicaldevelopment/maddison/) sur plusieurs siècles s’appuient pour la France (mise à jour de 2018) sur la thèse doctorale de :
Ridolfi Leonardo (2016) – The French economy in the longue durée. A study on real wages, working days and economic performance from Louis IX to the Revolution (1250-1789) - IMT School for Advanced Studies, Lucca
http://e-theses.imtlucca.it/211/1/Ridolfi_phdthesis.pdf
L’auteur écrit : “Subsequently, our estimates do not exhibit any sustained trend improvement in the levels of output per capita. This evolution is consistent with the characterization of French economic growth put forward by Le Roy Ladurie (1966, 1977) arguing that the pre-industrial French economy was virtually a stagnating, growthless system. (…) Postan, Bowden, Le Roy Ladurie, just to name a few, proposed different accounts of pre-industrial economy but still shared the view that at the very root of the process of economic growth were some "objective" economic forces again identified in demographic fluctuations and commercial factors. (…) Behind most economic trends in the Middle Ages, above all behind the advancing and retreating land settlement, it is possible to discern the inexorable effects of rising and declining population (Postan, 1972, p.72).”
[9] Aghion Philippe (2018) – Histoire de la croissance - Tendances historiques : la croissance de 1300 à 1800 en Europe - Cours au Collège de France
https://www.college-de-france.fr/site/philippe-aghion/course-2018-10-09-14h00.htm
[10] Harari Yuval Noah (2011) – Sapiens – Une brève histoire de l’humanité – Albin Michel
[11] Gimpel Jean (1975) – La révolution industrielle du Moyen-Âge - Seuil
[12] McConnell Joseph R. (2019) - Pervasive Arctic lead pollution suggests substantial growth in medieval silver production modulated by plague, climate, and conflict - PNAS
https://www.pnas.org/content/116/30/14910
[13] Genevève Massard-Guilbaud (2018) - From the history of sources and sectors to the history of systems and transitions : how the history of energy has been written in France and beyond – Revue d’histoire de l’énergie N°1
[14] Kander A., Malanima P. et Warde P. (2014) – Power to the People - Energy in Europe over the Last Five Centuries – Princeton University Press
[15] Arnoux Mathieu (2012) – Le temps des laboureurs, Travail, ordre social et croissance en Europe (XIe-XIVe siècle), Pris, Albin Michel
[16] Deléage Jean-Paul , Hémery Daniel et Debeir Jean-Claude (et Philippe Robert) (1986) - Les servitudes de la puissance : Une histoire de l'énergie – Flammarion
[17] Etonnamment, ce passage évoquant Robert Philippe, décédé en 1998, a été supprimé de la réédition de l’ouvrage en 2013, sous le titre « Une histoire de l’énergie ».
Histoire de l'énergie. Histoire économique de la croissance. Anthropologie historique. Mise en ligne d'extraits de la thèse inédite d'un disciple de F. Braudel. Commentaires sur le mythe historiographique de "l'histoire immobile".