Amandine Ibled
Figer les éclairs nanométriques pour les transformer en brins métalliques d'or, d'argent, de cuivre, ou tout autre métal... C'est la dernière innovation de deux ingénieurs-chercheurs en matériaux au CEA de Valduc, près de Dijon. Un procédé révolutionnaire baptisé « Hanetec », soit la contraction de deux mots en japonais « plume » et « technologie ». Plusieurs industries, notamment l'automobile pour la pile à combustible et le médical pour les implants osseux, se sont déjà positionnées.
« C'est une découverte comparable à celle de la pile de Volta ! », déclare Ronan Botrel, l'un des deux porteurs du projet. À l'époque, la première pile électrique créée par Alessandro Volta, en 1799, était un gros cylindre de 1,5 mètre qui empilait près de 600 disques de cuivre et de zinc... Aujourd'hui, les plus petites piles au monde mesurent à peine quelques centimètres. Le monde de demain, lui, est désormais passé à l'échelle nanométrique. « Les prochaines technologies innovantes pour le quotidien seront essentiellement basées sur des découvertes comme la nôtre », assure Ronan Botrel.
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Et pour cause, la trouvaille des deux chercheurs, Ronan Botrel et Frédéric Durut, présentée au Consumer Electronics Show (CES) de Las Vegas qui s'est déroulé du 9 au 12 janvier dernier, a « impressionné » les visiteurs. En quatre jours de salon, le CEA a enregistré une quarantaine d'entreprises et de grands groupes, moitié français et moitié étrangers (Américains, Allemands et Japonais en majorité), intéressés par ce nouveau procédé chimique. Son potentiel d'applications est vaste : batteries, catalyse [accélération ou ralentissement d'une réaction chimique sous l'effet d'une substance, Ndlr], stockage d'hydrogène, médecine, vétérinaire ou encore pile à combustible.
« Un procédé révolutionnaire et unique au monde »
Cette découverte a été réalisée dans le cadre de travaux de recherche effectués au Commissariat à l'énergie atomique (CEA) de Valduc, près de Dijon, pour développer des matériaux aux propriétés nouvelles. Les deux chercheurs avaient pour mission de chercher à fabriquer des métaux d'aspects très denses mais extrêmement légers pour des expériences de physique de la matière sur d'importants instruments scientifiques du CEA.
« Nous avons découvert un procédé qui est révolutionnaire et unique au monde », affirme aujourd'hui Ronan Botrel. Ce procédé utilise la technologie plasma électro-chimique - qui sert à modifier de manière ciblée les propriétés de surfaces - en milieu liquide. « Nous avons plongé deux électrodes dans une solution chimique. La première était enveloppée d'un gaz et l'autre d'un métal. Ensuite, nous avons passé du courant dans le liquide, ce qui produit du plasma, le quatrième état de la matière », raconte Ronan Botrel.
C'est en poussant un peu plus ces paramètres expérimentaux que le chercheur a fait la découverte des éclairs figés : « Je me suis rendu compte que je générais des éclairs à la surface d'une électrode et qu'après observation au microscope électronique à balayage, ces éclairs semblaient avoir été transformés en brins métalliques très fins », poursuit-il. Le plasma avait créé des éclairs nanométriques, comparables à des milliers de filaments de matière.
[Image : https://static.latribune.fr/article_body_wysiwyg/2308107/eclairs-a-la-surface-de-l-electrode.jpg]
Eclairs à la surface de l'électrode
Une nouvelle classe de métaux
L'originalité de ce procédé permet aujourd'hui de fabriquer des métaux qui sont totalement uniques. « Il s'agit d'une nouvelle classe de métaux d'aspect très dense mais qui sont ultralégers », souligne Ronan Botrel. Par exemple, ils sont tellement légers qu'un petit bloc de cuivre est capable de flotter sur l'eau. Ce sont des métaux qui, aujourd'hui, paraissent très dense mais qui sont composés à 98% d'air.
Et cette propriété exceptionnelle est due essentiellement à la nanostructure de ces matériaux composés de nanofils issues de la cristallisation des éclairs. Ces nanofils sont organisés sous forme de pelote métallique, et séparés par des porosités nanométriques, voire micrométriques. Pour donner un ordre d'échelle, ils sont 1.000 fois plus fins qu'un cheveu humain.
Outre leur densité très faible, de l'ordre de 0,5% de la densité du métal initial, ces matériaux ont aussi une surface spécifique - c'est-à-dire la surface du matériau qui en contact avec l'extérieur - très importante : « Un bloc de cuivre qui pèse 10 grammes aura une surface spécifique de la taille d'un terrain de basket », précise le chercheur.
Des propriétés uniques pour ces nouveaux matériaux qui deviennent donc « hypra conducteur » et « hypra-catalyseur ». Autant d'atouts technologiques sont très recherchés dans le secteur de la médecine, pour des implants, mais aussi de l'automobile avec la nouvelle génération de piles à combustion pour le stockage de l'hydrogène.
[Image : https://static.latribune.fr/article_body_wysiwyg/2308110/mousse-de-cuivre-qui-flotte.jpg]
Mousse de cuivre qui flotte sur l'eau.
Un levier technologique pour les piles à combustible...
Ces nouveaux métaux sont apparus comme un levier technologique pour les piles à combustible utilisées dans les véhicules du futur. « L'un des freins aujourd'hui est la quantité de platine nécessaire pour les électrodes. Le problème est qu'actuellement, les nanoparticules de platine sont dispersées sur un support carboné qui se corrode, et disparaissent au cours de l'utilisation ».
L'avantage des mousses métalliques, dans lesquelles tous les filaments sont interconnectés, est qu'il n'y a plus besoin de disperser le platine sur un quelconque support puisque c'est un matériau auto-supportant. « Il se tient tout seul, un peu comme une éponge métallique ou une paille de fer », compare Ronan Botrel. En d'autres termes, sa découverte pourrait permettre de produire des piles à combustible plus efficaces et plus légères, grâce à des quantités plus faibles de platine et une surface d'échange plus élevée, et donc plus faciles à intégrer dans les véhicules.
... Et des applications dans le domaine de la médecine
Le secteur médical s'est également penché sur l'application de ces mousses métalliques, notamment pour des petits implants osseux compatibles avec l'organisme humain. « L'avantage de nos matériaux, c'est qu'ils sont nanostructurés. Ils offrent une surface spécifique très élevée qui permettrait d'améliorer les greffes en termes de surface d'accroche et de rapidité de prise du greffon », précise Ronan Botrel.
Ce procédé, issu de plus de dix ans de recherches, est désormais breveté aux Etats-Unis, en Europe et en Asie.
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