Damien Ambroise sur Telegram
historiquement : 1. changement dans les paramètres astronomiques de la Terre => 2. changement de température => 3. changement dans la concentration en CO2 => 4. changement de température dans le même sens (amplification du phénomène). Tes articles parlent de la latence entre les points 2 et 3, et non entre les points 3 et 4. Or nous sommes dans la situation inédite (pas vraiment en fait mais passons) où l'on observe 3 => 4 sans observer le point 1. En effet nous arrivons maintenant à émettre du CO2 dans l'atmosphère tous seuls comme des grands sans que le Soleil nous donne un coup de main en initiant la machine pour nous :) Et c'est bien la latence entre les points 3 et 4 qui nous intéresse dans le dérèglement en cours, alors que tes articles traitent de la latence entre 2 et 3.
Tout corps à une température non nulle (en Kelvin) rayonne. Le Soleil émet dans les UV, le visible (et les IR), la Terre émet dans les IR. Pour ceux qui ont fait de la physique, pour un corps noir : I = sigma * T^4. Tout corps absorbe du rayonnement, et en réémet un à des longueurs d'ondes éventuellement différentes.
Un corps dit "noir" émet un spectre lumineux continu, soit un intervalle complet et large de longueurs d'onde, même s'il émet plus de longueurs d'ondes que d'autres en fonction de sa température. Plus il est chaud plus il émet de faibles longueurs d'ondes plus énergétiques. Or un gaz n'est pas un corps noir. Très peu dense, il n'y a pas assez d'interactions avec la matière pour interagir avec autant de longueurs d'onde qu'un solide. Un gaz est beaucoup sélectif (dépend des modes de vibration des molécules, qui créent un dipôle électrique oscillant donc un champ électrique et c'est lui qui interagit avec la lumière). Lorsqu'il y a peu de CO2 dans l'atmosphère, il n'interagit qu'avec peu de longueurs d'ondes, plus on en ajoute, plus les molécules de CO2 interagissent entre elles, ce qui augmente le nombre de modes propres des oscillations et donc les longueurs d'onde avec lesquelles le CO2 interagit.
Rappelons que la plupart des phénomènes climatique qui nous intéressent se déroulent dans la Troposphère. On modélise l'atmosphère comme une série de couches successives. Chaque couche reçoit des IR de la couche d'en dessous, les absorbe, et en réémet dans toutes les directions : donc une partie va vers la Terre, une autre vers les couches supérieures.
Prenons un observateur externe à la Terre (disons depuis la Lune) qui regarde la quantité d'IR qu'il reçoit depuis la Terre, en fonction de leur longueur d'onde. En l'absence d'atmosphère (et en supposant que la Terre est magiquement à la même température...) il voit tout le spectre émit par la Terre. Au fur et à mesure que l'on ajoute du CO2, il absorbe une partie des IR de la Terre, et l'observateur voit un "trou" se creuser à partir d'une longueur d'onde qui lui arrive de moins en moins. Ce trou s'élargit également car plus de CO2 => interactions avec plus de longueurs d'ondes. Ce trou correspond aux IR piégés sur Terre, donc qui la réchauffent.
Arrivé à une certaine quantité de CO2 dans l’atmosphère, le CO2 ne peut plus absorber plus d’IR à une longueur d’onde donnée : on dit que l’absorption est saturée pour cette longueur d’onde. (Cette saturation ne veut pas dire que tous les IR de cette longeur d’onde sont bloqués, les GES n’étant pas à une température de 0 K ils émettent nécessairement des IR). Le trou ne peut plus gagner en profondeur, il ne peut que s’élargir. Et encore, seulement jusqu’à un certain point. Cette limite est (déjà naturellement) atteinte dans l’atmosphère. On peut rajouter autant de CO2 que l’on veut dans l’atmosphère, notre observateur verra toujours la même quantité d’IR lui arriver. Mais alors comment se fait-il qu’il y a toujours augmentation de température alors qu’il n’y a pas plus d’IR piégés sur Terre ?
Reprenons la définition de la couche limite et notre modèle de couches : la couche limite est celle à l'altitude (qui n'est pas la même partout sur Terre) à laquelle la quantité d'IR émise correspond à celle effectivement vue par notre observateur externe (cela ne veut pas dire que les couches supérieures n'émettent plus rien attention). L'équilibre thermique implique que le flux entrant et le flux sortant. Cette couche est celle à laquelle cet équilibre s'établit et a donc une température constante T0 (il n'y a pas de changement de température de cette couche, il y a changement d'altitude en ajoutant du CO2 !). Puisqu’il y a augmentation de l’altitude de cette couche limite, disons qu’elle passe de Z1 à Z2. Puis que la température de la troposphère diminue linéairement avec l’altitude (j’y reviens), Z2 est désormais à la température T0, et la température de Z1 doit désormais lui être supérieure : Z1 se réchauffe. Ainsi de suite en descendant toutes les couches jusqu’au sol. Ainsi, dans une atmosphère isotherme, il n’y aurait pas d’effet de serre.
Pourquoi ce changement de température linéaire avec l’altitude ? Ce n’est évidemment qu’une approximation au premier ordre, mais suffisante pour nous. La Terre en émet de la chaleur, ce qui réchauffe les basses couches de l’atmosphère. L’air chaud monte et par convection amène la chaleur des basses couches vers les hautes couches. En montant vers des pressions plus basses, l’air se refroidit par détente adiabatique (un gaz qui se détend se refroidit, c’est comme ça que fonctionne une clim ? ). Si cet air est humide, la vapeur d’eau finira par se condenser et la chaleur latente dégagée lors du changement d’état apporte de la chaleur supplémentaire ce qui augmente les échanges de chaleur entre couches. A l’inverse, dans la stratosphère, la chaleur vient du haut : les rayons du Soleil viennent taper sur la couche d’ozone qui retient les UV. La température y est donc croissante en fonction de l’altitude, l’inversion de cette tendance correspond à la frontière entre troposphère et stratosphère : la tropopause. L’air chaud de la stratosphère est donc déjà en haut, il n’y a pas de mouvement de convection. Cette couche est donc particulièrement stable, on peut l’imaginer sous formes de strates (d’où son nom).
Je vais reprendre la notion de couche limite et vous proposer une autre définition équivalente. D'ailleurs on parle plutôt d'"altitude d'émission". Séparons l'atmosphère en deux parties : une partie basse pour laquelle il y a tellement de CO2 au dessus que tous les IR émis dans cette partie sont nécessairement absorbés avant de quitter la Terre. Une autre partie plus haute pour laquelle il n'y a plus assez de CO2 au dessus pour tout absorber, au moins une partie de ces IR quitte la Terre. La frontière entre ces deux parties est l'altitude d'émission (ce qu'on appelait couche limite). En ajoutant du CO2 dans l'atmosphère, comme il s'y réparti de manière homogène, une partie juste au-dessus de l'altitude d'émission se retrouve désormais à avoir également trop de CO2 au dessus pour qu'une partie de ces IR puisse quitter la Terre. Il y a donc une altitude d'émission plus élevée.
A noter que ce n'est pas une couche de l'atmosphère qui est saturée : c'est l'absorption du rayonnement qui l'est. Quant aux autres GES, ils n'interagissent pas nécessairement aux même longueurs d'onde que le CO2.
En ce qui concerne la concentration en CO2 il peut être considéré comme well mixed car sa durée de vie est suffisamment longue pour qu'il ait le temps d'être brassé dans l'atmosphère et se répartir de manière homogène. Mais dites vous bien que ppm signifie "parties par million". Il s'agit du nombre de molécules de CO2 par million de molécules d'air. Or plus on monte dans l'atmosphère moins l'air est dense (la pression est une fonction exponentielle décroissante de l'altitude). Donc plus on monte moins il y d'air donc de CO2, mais le rapport du CO2 par rapport aux autres molécules d'air est constant en première approximation. 80 % de la masse d'air de l'atmosphère se trouve dans la troposphère. On s'attend donc à ce que l'altitude d'émission s'y trouve également...